C’est grâce à l’équipe de Society, associée à Reporters Sans Frontières, que 8 journalistes actuellement enfermés aux quatre coins du monde ont pu publier articles et interviews dans un numéro spécial.
581 journalistes sont actuellement en prison. Ils et elles sont en Palestine, au Cameroun, au Guatemala, en Érythrée, en Chine, en Biélorussie ou en Iran, disséminé‧es dans 70 pays du monde. Ils et elles sont en prison précisément parce qu’ils sont journalistes. Voilà que des reporters et enquêteur‧ices français‧es deviennent leur plume, leur voix : l’équipe du magazine Society a travaillé pendant un an et demi avec Reporters Sans Frontières pour en contacter un maximum et écrire pour eux, interviewer pour eux, publier pour eux.
« Chaque information qu’elle fait sortir de prison est un risque de se retrouver encore plus à l’isolement »
Le projet final est un magazine spécial dans lequel huit journalistes emprisonné‧es s’expriment. L’une d’entre eux se nomme Narges Mohammadi, elle est prix Nobel de la Paix 2023, journaliste iranienne engagée pour les droits des femmes, bafoués en Iran. Narges Mohammadi est en prison à l’heure où nous écrivons ces lignes. En isolement, même, la contacter pour qu’elle écrive l’un des articles du numéro a donc été « très compliqué ». C’est ce qu’explique Thomas Pitrel, co-rédacteur en chef de Society : « on est parvenus à passer par sa famille et par la Fondation qui porte son nom. » Évidemment, il serait bien inopportun d’expliquer comment ces dernier‧es parviennent à la joindre. Une chose est sûre : « elle prend des risques. Chaque information qu’elle fait sortir de prison est un risque de se retrouver encore plus à l’isolement, avec des conditions de détention dégradées. » Alors que le film « Les graines du figuier sauvage » nous rappelle au triste anniversaire de la mort de Mahsa Amini et de la naissance du mouvement « Femme, vie, liberté », l’ensemencement de cette révolution qui continue à secouer l’Iran.
Jane Goodall ou Pinar Selek, contre « l’apartheid de genres »
L’article que Narges Mohammadi signe dans ce numéro est une immense interview, ou plutôt plusieurs. « Elle nous a envoyé une liste de femmes à travers le monde qui pourraient avoir des choses intéressantes à dire sur le concept contre lequel elle se bat qui est « l’apartheid de genre », explique Thomas Pitrel. Avocates et militantes congolaises, ukrainiennes, iraniennes, la secrétaire générale d’Amnesty International, physicienne suédoise, anthropologue britannique… « Il y avait une liste initiale de 20 noms à contacter, c’était très long, d’autant qu’il y avait des noms comme Michelle Obama, assez inaccessibles » s’amuse Thomas Pitrel. Poser des questions à ces femmes, écrites par cette journaliste depuis sa prison, c’est un exercice qui transporte une vraie charge symbolique pour le journaliste qu’est Thomas Pitrel.
Analyser les mécanismes qui brident la liberté de la presse
Se faire la plume de journalistes emprisonné‧es a surtout ramené Thomas pitrel à « beaucoup d’humilité. Et une réflexion : certains de ces pays n’ont jamais été libres, certains l’ont été et ne le sont plus, on voit, en travaillant avec ces journalistes, comment la situation s’est dégradée, on comprend les mécanismes. »
La France figure pourtant au sommaire du magazine à travers Ariane Lavrilleux, qui parle de 5 enquêtes qui ont marqué sa vie. Ariane Lavrilleux n’est pas en prison mais elle a été placée en garde à vue par la DGSI , sommée de révéler ses sources, après son enquête pour Disclose dans laquelle elle a révélé les crimes commis contre les civils par plusieurs dictatures, de l’Arabie saoudite à l’Égypte, avec des armes made in France. « Elle n’est pas au même plan que les autres évidemment, mais c’était intéressant de l’avoir dans le magasine sur cette rubrique qu’on a habituellement dans le magasine sur des ouvrages qui ont marqué la vie de l’interviewé. »
Society et Reporters sans Frontières, le numéro spécial est en kiosque.