C’est le moins qu’on puisse dire, l’adaptation en comédie musicale de La Haine fait parler d’elle. Et pour cause : cette production est bien loin des clichés du genre. Mehdi Laïd en profite pour revenir sur ces autres comédies musicales défricheuses.
“La Haine en comédie musicale ?! Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Pourquoi pas le silence des agneaux tant qu’on y est ?” C’est sûrement ce que vous vous êtes dit quand vous avez vu les premières images du film culte de Mathieu Kassovitz adapté à la sauce Broadway par ce dernier, qui débarque sur les planches de la Seine musicale à Paris, avant une tournée nationale. Et pour cause : cette production est bien loin des clichés d’un High School Musical, d’un Mamma Mia, ou d’un La La Land…
Une claque visuelle et musicale
Baptisé “jusqu’ici rien n’a changé” le projet est piloté par Mathieu Kassovitz, dont la promo d’ailleurs a été un poil entachée par des propos climatosceptiques sur un plateau radio… Mais passons. Dans cette interprétation unique de La Haine, le tic tac caractéristique de l’horloge est le même au lendemain d’une série de violentes émeutes en banlieue parisienne. Les références sont en revanche adaptées au monde d’aujourd’hui : on y parle smartphones, Jordan Bardella, Naruto, ou Les Marseillais… Le twist, c’est la mise en scène épurée, dans laquelle les acteurs évoluent sur un plateau tournant devant un immense écran sur lequel défilent des paysages urbains en réalité augmentée. Une « claque visuelle » d’après celle‧ux qui l’ont vu.
L’autre claque, c’est celle de sa Bande Originale, disponible depuis quelques jours sur les plateformes. On y entend kicker la rappeuse Doria, Sofiane Pamart ou Médine, ainsi que Youssef Swatts et Jyeuhair, deux visages familiers pour celle‧ux qui ont maté le télécrochet Nouvelle École. Sans oublier les vétérans du rap français Akhenaton, Oxmo Puccino et Tunisiano. On relève néanmoins la quasi-absence de femmes au casting, la gent féminine uniquement représentée par deux ou trois danseuses ainsi qu’une seule chanteuse.
La sélection de Mehdi Laïd : les musicals qui ont dépoussiéré le genre
Le travail de Kassovitz a donné envie à Mehdi Laïd, le génial expert des comédies musicales qui est à nos côtés dans la rédac’ de Nova, de revenir sur ces autres productions qui ont dépoussiéré le genre. Parce que ça peut nous paraitre inédit en France, mais aux États-Unis, ça fait déjà un moment que la comédie musicale n’est plus associée aux claquettes et aux froufrous. De nouveau‧elles auteur‧ices s’occupent d’apporter une vision plus moderne, et la culture urbaine et populaire s’invite dans certaines des plus grosses productions de ces dernières années. Emportant avec elle l’image figée et austère qu’on peut encore avoir du genre.
In the Heights, de Lin Manuel Miranda : premier succès rap à Broadway
Un musical qui a ramené le rap sur les planches de Broawday. Première pièce de Lin Manuel Miranda, aujourd’hui icône du genre, qui nous raconte l’histoire de son quartier d’origine, Washington Height, condamné à la disparition à cause de la gentrification massive qui touche les milieux populaires. La pièce navigue entre rap, salsa et pop, le tout enrobé de l’identité hispanique de l’auteur. In The Heights a ouvert la voie au populaire dans une des institutions les plus élitistes du monde.
Hades Town, d’Anaïs Mitchell : Orphée et Eurydice version blues gospel de 1920
On a eu beaucoup de réécriture des mythes grecs, mais qui aurait pu s’attendre à re-découvrir le mythe d’Orphée et d’Eurydice dans une ambiance blues et gospel qui nous plonge dans les années 20 aux États-Unis ? Hommage musical à Robert Johnson et à l’héritage des artistes blues de l’époque, Hades Town s’est inscrite au panthéon de Broadway avec 14 nominations et 8 récompenses.
The Book Of Mormon, de Trey Parker, Matt Stone (créateurs de South Park) et Robert Lopez
Les créateurs de South Park se sont dit un jour : Pourquoi ne pas écrire une comédie musicale juste pour le fun ? Pas de chance : The Book Of Mormon a remporté 9 Tony Awards (l’équivalent des Oscar pour les « musicals« ) et est aujourd’hui au panthéon de Broadway, érigé comme la Bible (petite blague) de la comédie musicale humoristique. Les Mormons eux-mêmes n’ont pas pu leur en vouloir, qualifiant le show de “trop réaliste pour faire un procès”.
Tick Tick Boom, de Jonathan Larson : le « one man musical« tragique
Si on connaît le récent film réalisé sur Netflix, on oublie que Tick Tick Boom est à la base un « one man musical« créé en 1991 par Jonathan Larson, auteur de RENT, qui redéfinira le paysage de Broadway. Un récit autobiographique qui relate la misère que Larson a traversée à New York, perdu entre son rêve de devenir auteur et les besoins financiers auxquels il fait face en pleine période Sida, qui lui arrachera ses proches amis. Mort dans des circonstances tragiques, sans avoir pu voir ce qu’il aura apporté à la scène qui le faisait tant rêver, sa famille a créé un centre d’aide aux artistes qui porte aujourd’hui son nom.
Inside, de Bo Burnham : un objet vidéo musical encore jamais vu
Vous étiez dans quel mood pendant le confinement ? Bo Burnham, lui, a sûrement passé la pire période de son existence. Superstar du stand-up américain, il a profité de cette période où les scènes étaient fermées pour créer, seul chez lui, un objet vidéo musical encore jamais vu : entre stand-up dépressif au possible, chansons plus mythiques les unes que les autres et messages politiques forts. Personne ne ressort indemne d’Inside. Alors oui, j’ai triché, c’est pas de la scène ; mais c’est un bon exemple de ce que les auteurs et autrices ont pu mettre en place dans les conditions d’enfermement qu’on a connues.
Hamilton, de Lin Manuel Miranda : pas d’USA sans diversité
Bon, il est impossible de parler des comédies musicales qui on redéfinit le genre sans parler de sa pierre angulaire : Hamilton. C’est la pièce du même auteur qui succède à In The Heights, elle nous raconte l’histoire de l’indépendance des États-Unis, en rap. Au casting : uniquement des personnes afro-américaines ou issues de l’immigration pour incarner les grandes figures politiques de l’époque. Une œuvre en lutte contre les oppressions dont le message est clair : pas d’Amérique sans diversité, pas d’art sans différence. Elle est aujourd’hui largement considérée comme l’une des œuvres les plus importantes de la culture américaine. Et sûrement comme LE musical de Broadway moderne le plus populaire au monde.
Le rap enfin représenté à sa juste valeur avec La Haine ?
Bien que ces différentes pièces aient pu changer la donne, Broadway reste encore trop immaculé en ce qui concerne certains styles de musique comme le rap. Même les exemples cités plus tôt, qui ne cachent pas leur référence aux grands noms du rap, n’en conservent que les côtés les plus lisses. Espérons alors que La Haine, dans son héritage profondément ancré dans le hip-hop Français, saura à son tour acérer un peu plus le genre.