« Les manuscrits de Tombouctou : secrets, mythes et réalités » de Jean-Michel Djian
Jean-Michel Djian, producteur à France Culture, rédacteur en chef de « France Culture Papiers » et initiateur du Master de Coopération Artistique Internationale à Paris 8, vient de publier « Les manuscrits de Tombouctou : secrets, mythes et réalités » aux éditions Jean-Claude Lattès. Une enquête sur ces trésors de l’Afrique qui aura duré six ans.
Alors que le Nord-Mali est en proie à des violences liées aux revendications des rebelles touaregs et l’intrusion d’islamistes radicaux, des destructions de mausolées ont été constatées ainsi que des pillages et des vols de documents. Des gens trop sympa en somme. L’ouvrage de Jean-Michel Djian met en avant les trésors manuscrits de Tombouctou aujourd’hui en péril et qui regorgent d’informations sur l’histoire africaine. « L’homme africain » est depuis longtemps entré dans l’histoire donc, n’est-ce pas Sarko? Certains de ces manuscrits auraient même, en partie, inspiré, voire plus, beaucoup plus, Machiavel quand il a écrit « Le Prince »… Grosso modo, il aurait plagié quelques passages! Que les puristes se rassurent, ce ne sont là que des hypothèses.
Sur le plan patrimonial, l’histoire des manuscrits date d’une trentaine d’années. Depuis trente ans, ces textes sont protégés et sauvegardés grâce à l’Unesco qui a labellisé le premier Centre Ahmed Baba (Tombouctou) en 1972. » Mais on s’y intéresse depuis peu, explique Jean-Michel Djian. Dès les années 1980, on a vu quelques-uns de ces manuscrits partir de ce Centre pour aller en Suisse et Londres et être revendus très cher à New York. Ces manuscrits ont d’abord une valeur historique. Ils démontrent, ou en tout cas prouvent, qu’il existe une tradition écrite en Afrique et pas seulement une tradition orale. » Autre point, plus important, souligné par l’auteur : « il est écrit dans ces documents quelque chose qui ressemble à une grande histoire, à une civilisation que l’on méconnaît. Et que même bon nombre d’Africains méconnaissent. «
En 2005, à Tombouctou, Jean-Michel Djian a créé avec Paris 8, l’Université Ouverte des Cinq Continents. Réunissant cette année-là deux cents étudiants africains. « Nous voulions simplement, dans cette ville mythique, retourner aux sources de la connaissance, du savoir, de l’érudition. Ce fut un moment fondateur pour ces étudiants« . C’est à ce moment là que l’idée lui est venue de s’intéresser aux écrits. « J’ai eu la chance, raconte-t-il, de rencontrer quelques historiens et des responsables de bibliothèques familiales en Afrique, dont Tombouctou. Celles-ci recèlent des cantines en fer dans lesquelles on trouve des documents magnifiques en termes d’esthétique. » Evidemment, ne parlant pas l’arabe, Jean Michel Djian a dû se rapprocher de personnes compétentes. « Il faut en effet parler l’arabe et un type d’arabe particulier, celui qui est écrit en « magribi », avec une phonétique « ajami« , un mélange entre les langues vernaculaires et l’alphabet arabe. » Ils sont très peu dans le monde à le maîtriser, il se trouve que l’un d’entre eux était présent (à l’Université Ouverte ndr), George Boas, professeur à Normal Sup à Lyon. « Il m’a aidé à traduire une partie de ces manuscrits. A partir de là, j’ai tenté de construire un récit qui a réveillé probablement l’intérêt de ceux qui en Afrique – des historiens, des professeurs – s’interrogent depuis cette sortie curieuse de Sarkozy… En insistant sur le fait que l’Afrique n’a pas d’histoire. Ce moment-là, en 2007, a accéléré mon intérêt pour la chose« .
(Crédit photo : Seydou Camara)
La vision des français au sujet de Tombouctou et de ses manuscrits
Selon Jean-Michel Djian, celui qui a permis de « commencer à imaginer » que Tombouctou était autre chose qu’une légende c’est Heinrich Barth, un scientifique et explorateur allemand (qui travaillait pour les Anglais soit dit en passant). Il est un des seuls à avoir vraiment identifié un certain nombre de manuscrits qui ont permis aux Tarikhs (chroniqueurs ndr) Al-Sudan, d’être publiés, d’exister. D’après Jean-Michel Djian, les Français, même aujourd’hui, « sont très ignorants de ce qui se passe à Tombouctou. Ils entretiennent le mythe, la légende de Tombouctou sans aller au-delà« . Par exemple, qui a aidé la numérisation des manuscrits? Hein? Qui? Les sud-Africains, les Libyens, les Suédois et les Luxembourgeois, accuse l’auteur. La France n’a pas aidé à la restauration. Zéro! Ah si! Une seule région a aidé: la région Rhône-Alpes. Pour des raisons liées à « des complicités d’élus » permettant à normal Sup Lyon d’être présent sur cette ville mythique. En somme, les français ens ont restés à René Caillié (explorateur français du 19ème siècle, il est le premier explorateur européen à être revenu vivant de Tombouctou ndr).
En quelques chiffres : Selon Jean-Michel Djian, on dénombrerait 100 000 manuscrits rien qu’à Tombouctou. Ces documents-là sont éclatés entre les bibliothèques familiales et le Centre Ahmed Baba. On en découvre encore au Niger, à Ségou (Mali), en Mauritanie. Selon Mahmoud Zouber (premier directeur du Centre Ahmed Baba), l’ensemble représenterait 900 000 documents, écrits ou copiés, depuis le XIIIème siècle. C’est tout autant d’informations sur l’histoire de ce continent. Actuellement à peine 10% de ces manuscrits ont été numérisés, 1% à peine est traduit.
L’UNESCO a tiré la sonnette d’alarme concernant la sécurité de ces documents et devrait exposer quelques-uns de ces manuscrits. Aujourd’hui, ces écrits sont en danger, certains habitants de Tombouctou se sont donc mobilisés pour les mettre à l’abri.
(Ré)écoutez l’entretien de Jean-Michel Djian dans le podcast de néo géo du 18 novembre, right here !
(Crédit photo : Seydou Camara)