Déambulations en spirales rayées de noir et de blanc
Dans une banlieue ouvrière californienne des années 60, les couleurs pastelles défraichie et l’absence d’ouverture prédominent. Un garçon regarde sur le dos passer les avions. Il laisse ses cheveux lui tomber sur les yeux, à travers ce filtre la réalité est striée, et peut-être sera-t-elle même plus conforme aux univers qui animent l’enfant puis qui gouvernent l’adolescent.
Des univers peuplés de créatures aux membres filiformes, aux dents souvent longues qui ne mordent pas forcément, aux yeux qui s’exorbitent à force de fixer une fleur. Des univers intérieurs qui remuent la queue jusqu’à la perdre, comme un bon chien suturé, à l’approche d’une salle de cinéma, qui se roulent sur le dos devant les films de Vincent Price, pour se faire gratter le ventre d’une main aux doigts en ciseaux.
Ca pourrait être du Burton et après tout ça en est, c’est l’enfance un peu solitaire de Tim qui se gribouille au début d’un livre d’entretiens avec Mark Salisbury qui vient de sortir en poche aux éditions Points.
J’ai toujours été fasciné par le parallèle qui existe entre la vie en banlieue et les films d horreur.
Tim Burton y déroule le souvenir et la narration ressemble à celle de ses films, une narration souvent critiquée d’ailleurs. Elle est mouvante, glissante, surprenante, elle se tord comme le serpent de Beetlejuice, Beetlejuice, Beetlejuice. Tel l’étrange Jack, elle emprunte des portes qui mènent ailleurs, et comme Batman, le récit autobiographique avance masqué des films désormais cultes qui le compose. Les œuvres de Burton sont d’ailleurs ses jalons, elles assurent la chronologie de la pensée qui s’y accroche. Si Burton ne veut pas perdre son lecteur, il faut quand même que ce dernier se sente obligé de lui tenir la main. Il n’y a qu’ainsi qu’il s’aventurera dans les coins sombres et terrifiants pour découvrir que la lumière y est juste différente, qu’il caressera l’animal à 6 yeux et le trouvera doux, qu’il fréquentera les squelettes à l’heure du thé…
J’adore les squelettes, je pensais en avoir fini avec eux mais je les aime trop.
Les anecdotes de tournage, les rencontres avec Danny Elfman, avec Vincent Price, avec ses acteurs, avec ses femmes et ses films, les véritables leçons de création qui toujours proposent et jamais n’imposent, tout se tisse d’un trait qui paraît fragile et tortueux mais qui a la résistance et la géométrie rigoureuse de la toile d’une araignée mélancolique à 21 pattes et 4 yeux.
Un trait dont Disney reconnaissait le génie mais ne savait que faire, un trait qui jamais n’a changé et jamais ne s’est répété, le trait de 100 dessins qui sont la cosmogonie de Burton, son imaginaire brut et qui promènent leur clair obscur comme deux cavités oculaires sombres sur le blanc d’un crâne, et leurs soudaines couleurs d’une fête foraine macabre et réjouissante, entre les 382 pages de ce joli document.
Tim BURTON, Entretiens avec Mark Salisbury, préface de Johnny Depp, Editions Points, 382 pages, 9€.
E pourquoi ne pas finir par le commencement, avec Vincent, court-métrage remarquable façonné depuis les studios Disney en 1982 grâce à l’aide de Tom Wilhite, responsable du développement créatif. Un bijou visuel aux accents expressionnistes dans un écrin de Rimes inspirées par le style du Dr Seuss et lues par Vincent Price lui-même. La bague de fiançailles de noces heureuses et funèbres entre Burton et le cinéma.
Vincent Price