Masterclass exceptionnelle du Ganesh de la cinéphilie mondiale, scénariste du « Tambour », de « Cyrano » ou de « Belle de jour », qui revient avec astuce sur soixante-cinq ans d’écriture filmique.
« Très souvent, les scénaristes sont oubliés, ignorés. Ce sont… des ombres, qui traversent l’Histoire du cinéma. » Mais l’ombre de celui qui prononce ces mots, serrant chaleureusement l’Oscar d’honneur remis en 2014 à Los Angeles pour l’ensemble de sa carrière, recouvre des vallées entières de bobines assez difficiles à ignorer. Pour cette dernière émission de l’année, déroulons le tapis rouge au Ganesh de la cinéphilie mondiale : Jean-Claude Carrière, 88 ans, qui se dessine parfois sous les traits de l’éléphant-dieu hindou de la sagesse et de la prudence, patron des écoles et des travailleurs du savoir.
Barrissons de joie, oui, devant l’homme-péninsule qui eut le nez creux de transposer à l’écran, en vers, le panache épique de Cyrano de Bergerac (Jean-Paul Rappeneau, 1990).
Faisons une haie d’ivoire au disciple de Tati, au gag-man de Pierre Etaix, au collaborateur fraternel de Luis Buñuel sur Belle de jour (1967), Le Charme discret de la bourgeoisie (1972) ou Cet obscur objet du désir (1977). Tapons des pattes pour le co-auteur de La Piscine (1969) ou de Borsalino (1970) pour Jacques Deray, ce « dramaturge, romancier, essayiste, traducteur et acteur d’occasion, auteur de chansons ou de livrets d’opéra », cet « inventeur de légendes indiennes » qui travailla avec Peter Brook, Godard, Ferreri ou Oshima, qui offrit à Nicole Kidman le perturbant Birth (Jonathan Glazer, 2004) ou servit à Jean Rochefort son dernier grand rôle dans L’Artiste et son modèle (Fernando Trueba, 2012). Ouvrons grand nos oreilles grises à ce fils de viticulteurs de l’Hérault, qui participa à l’écriture de deux Palmes d’Or : Le Ruban blanc de Michael Haneke (2009) et Le Tambour de Volker Schlöndorff (1979), ce dernier voyant en lui l’équivalent d’« une sage-femme pour réalisateurs ».
« On peut toujours tout expliquer. C’est pourquoi sans doute il faut s’en priver », conseille avec malice Jean-Claude Carrière dans son dernier ouvrage en date, le très didactique Ateliers (éditions Odile Jacob), recueil de « notes concrètes et pratiques » sur plus de soixante-cinq ans d’écriture, que nous traversons le temps d’une masterclass radiophonique en deux épisodes d’une heure… dont voici la seconde partie, teintée de surréalisme et de claquements de fouets, où les sangliers ont parfois la vedette, où on songera à raser le Louvre, tout en évoquant « l’oeuvre de sa vie », Le Mahâbhârata, ce livre sacré de l’Inde ancestrale long comme deux fois les œuvres complètes de Balzac, que mon invité d’aujourd’hui mit onze ans à traduire…
« Personne ne peut dire, ni même espérer, que quelque chose restera de son travail, observe-t-il en conclusion de son ouvrage. Au moins aurai-je connu, à partir d’une enfance paysanne des plus modestes, une vie d’imagination, de surprises, de rencontres inespérées, de voyages dans le temps et l’espace, d’amours rêvées, de crimes impunis. (…) Un livre n’est pas une vie. Mais au moins laisserai-je derrière moi, dans mon territoire, d’un atelier à l’autre, un sillage multiple, zigzaguant, que le temps ne manquera pas d’effacer, quand il lui plaira. Mais qu’il attende un peu. Je travaille encore. »
Une émission imaginée et animée par Richard Gaitet, réalisée par Sulivan Clabaut avec l’aide de Tristan Guérin. Programmation musicale : Michael Liot.
La première partie de cet entretien s’écoute ici
Crédits photo : Mary Ellen Mark / Marie de Oliveira / Belle de jour de Luis Buñuel / Birth de Jonathan Glazer.