Qu’est-ce qu’un journal « vivant » ? Réponses en compagnie de l’auteur du « Lambeau », chroniqueur depuis 2004 dans les colonnes de Charlie Hebdo.
« La chronique m’aide à survivre à tout. C’est un fil à la patte, mince et résistant (…) Sa force doit naître, j’imagine, de sa limite. Elle m’aide bien à vivre comme si rien n’avait eu lieu (…) En me ramenant à l’éphémère, à la miniature, elle m’autorise l’insouciance née de l’habitude et, pourquoi pas, une certaine immortalité – l’appréciable immortalité d’un courant d’air », souffle Philippe Lançon, en préface de ses Chroniques de l’homme d’avant, paru en novembre aux éditions Les Échappés, qui rassemblent le meilleur de ce qu’il a publié dans Charlie Hebdo depuis 2004, jusqu’à l’attentat du 7 janvier 2015.
Pour celles et ceux qui l’ignorent, mon invité d’aujourd’hui était là, dans la salle de rédaction, ce matin de terreur puis « de silence et de sang », touché à la mâchoire – ce qu’il raconta dans Le Lambeau (Gallimard, 2018) au fil d’une introspection bouleversante, qui convoque tous les événements encadrant la tragédie, en laissant libre cours à ses associations d’idées, tout en observant à la loupe son très long processus de reconstruction physiologique, psychologique, amicale ou sociale, après plus d’une vingtaine d’opérations chirurgicales.
Et tandis que ce récit, d’une force littéraire extraordinaire, vendu à plus de 300 000 exemplaires, vient de sortir en poche, Philippe Lançon s’attarde aujourd’hui sur sa définition d’un journal « vivant », les menaces qui continuent de peser sur Charlie (dont, écrit-il, « l’encre sèche dans l’air de la farce et de l’irrespect »), sur la place occupée dans son imaginaire par Cendrars ou Rimbaud, sur les romans dont il rêve mais qu’il n’écrira pas – lui qui, depuis le drame, a « beaucoup de mal à lire et à écrire de la fiction », nous confiera-t-il au cours de cette conversation en deux épisodes d’une heure, dont voici la seconde partie.
Ce qui rappelle ce passage, poignant, du Lambeau : « Quand j’écrivais au lit, avec trois doigts, puis cinq, puis sept, avec la mâchoire trouée puis reconstituée, avec ou sans possibilité de parler, je n’étais pas le patient que je décrivais ; j’étais un homme qui révélait ce patient en l’observant, et qui contait son histoire avec une bienveillance et un plaisir qu’il espérait partager. Je devenais une fiction. C’était la réalité, c’était absurde et j’étais libre. Cette activité se payait naturellement sur la bête. Je finissais chaque chronique épuisé, suant, toussant, larmoyant. Le patient ressuscitait d’entre les mots. »
Une émission imaginée et animée par Richard Gaitet, réalisée par Sulivan Clabaut avec l’aide de Tristan Guérin. Programmation musicale : Michael Liot.
La première partie de cet entretien est à réécouter ici.