Une grande tournée des micronations, ces territoires de pacotille et ces hommes qui voulaient être rois.
Dans un monde toujours plus mondialisé où triomphent les enjeux internationaux et les systèmes d’information globaux – le glas des frontières -, on voit se multiplier les sites Internet proposant la création de véritables États. Une approche virtuelle et ludique d’un concept ancestral : les micronations. De l’Antiquité à Internet, de la République de Montmartre au Royaume de Patagonie en passant par l’île de Pitcairn rendue célèbre par les mutins du Bounty, ces États non reconnus rivalisant d’extravagance sont autant de motifs sécessionnistes. L’ambition coloniale, l’escroquerie, l’utopie, la réaction monarchique ou même le simple canular, d’hommes excentriques s’autoproclamant monarques et qui ont pris au mot le « droit des héros à fonder des États » de Hegel. Tour de ce micro-monde inconnu des atlas.
Georgette Bertin-Pourchet est méfiante. La dernière fois que des journalistes sont venus en République du Saugeais pour interviewer la Présidente – sa mère alors -, celle-ci s’est retrouvée dans la rubrique « La fêlée du mois » d’un magazine porno bas de gamme. Derrière des dehors plaisantins et les railleries du reste du monde, la Présidente de la République, comme la plupart des nano-monarques, prend très au sérieux son titre et entend bien contrôler ses relations publiques. Petite enclave du Doubs, à quelques encablures de Besançon, la République du Saugeais est la micronation la plus aboutie de France.
Définir les micronations, comme les dénombrer, c’est la tâche très délicate que s’est donné l’Institut Français de Micropatrologie (l’étude des micronations) et son fondateur Fabrice O’Driscoll. Ni micro-États – tout État dont la population est inférieure à un million et demi d’habitants selon l’ONU -, ni peuples non reconnus par le concert des nations ou les standards onusiens, comme le Tibet ou la Tchétchénie. Ici il s’agit de la sécession de communautés absentes des cartes du monde qui tentent de s’établir sur un territoire relatif à leur micro-population ou qui font le choix de n’exister que sur le web. Elles ont souvent tout d’un État, dans l’organisation et le protocole, à un détail près, elles n’assurent aucune de ses fonctions régaliennes (sécurité, défense, justice…).
Du vieil explorateur posant son pied et son drapeau sur une île déserte au gamer fan de contes et légendes instaurant sa principauté 2.0, l’idée de micronation existe depuis la nuit des temps, en marge de l’histoire des pays, des frontières.
La Principauté de Sealand
L’étude de cette « arrière-boutique du monde », selon l’expression du géographe Roger Brunet, doit se faire au cas par cas. Il y a autant de concepts micronationaux que de micronations. Fabrice O’Driscoll dégage tout de même une constante : « Ces micronations ont toutes un point en commun. Elle marquent une tentative de rupture avec un environnement politique dans lequel les citoyens ne se reconnaissent plus ». Réalité territoriale ou stricte imaginaire, l’historien Bruno Fuligni, auteur de L’État, c’est moi, un ouvrage pionnier sur le sujet, constate que ces « républiques pirates » ne sont en aucun cas œuvres d’utopistes – idéal abstrait -, mais des petits « États », des communautés d’intérêt, existant en acte. À l’ambiguïté du terme « micronation », lui préfère l’appellation « cryptarchie », néologisme qu’il tire des cryptocraties, nom donné aux sociétés secrètes. La majorité d’entre elles souhaiteraient se faire admettre par la juridiction mondiale. Même si ce rêve n’est confessé qu’à demi-mot derrière la promesse humoristique.
Rupture politique et reconnaissance
Seules quelques sérieuses micronations marquent une réelle rupture politique. C’est le cas par exemple de la Principauté du Hutt River, en Australie. En 1970, le futur Prince Léonard, un exploitant agricole, rompt avec son pays en réaction à une nouvelle politique céréalière. Jouant habilement de contradictions institutionnelles, il obtient un régime particulier pour sa province de soixante-quinze kilomètres carrés et plusieurs milliers d’habitants. La capitale administrative s’appelle Nain, ça ne s’invente pas. Sa monarchie constitutionnelle héréditaire jouit aujourd’hui d’une certaine forme de reconnaissance internationale.
Le Sealand, peut-être la micronation la plus célèbre au monde, est aussi né d’une insatisfaction politique. Le Prince Régent Michael Bates raconte que son père, mécontent du traitement des radios pirates par le gouvernement britannique, débarque en 1966 sur une plateforme militaire abandonnée dans les eaux internationales au large des côtes anglaises. On jurerait Waterworld. Un an plus tard, Roy Bates hisse un drapeau et s’autoproclame prince. « C’est simplement une expression de la liberté » nous confie l’héritier du trône. Perdu dans les eaux internationales, jamais conquis par un pays, le Sealand est reconnu de facto, son passeport validé aux frontières traditionnelles. Jusque dans les plus hautes sphères, on se tire les cheveux. Les avis juridiques se succèdent, arrivant tous à la même conclusion : le Sealand est impossible à ne pas reconnaître. Pour le malin plaisir du Prince Régent, qui ne souhaite plus être assimilé aux « so-called » micronations. Aujourd’hui potentiel paradis fiscal, le Sealand est convoité par le site The Pirate Bay. Pour éviter toute poursuite contre les hackers.
La Principauté de Seborga, en Italie, brûle d’être un Monaco transalpin. Cette monarchie élective revendique le territoire de la commune de Seborga, quelques centaines d’habitants perchés sur un rocher avec vue sur…Monaco. Le Prince Marcello 1er va chercher la recevabilité de son indépendance très loin. Il remonte en 954 après J.C., bien avant la création même de l’État italien. Le rocher de Seborga aurait déclaré son indépendance et l’aurait conservée jusqu’à l’annexion forcée par les États de Savoie au début du Moyen-Âge. « Nous nous opposons à l’usurpation par la République Italienne, héritée de l’usurpation par les Savoies. Nous ne voulons pas la reconnaissance mais la réactivation de cette reconnaissance », se plaint Marcello. L’idée de reprendre en main la principauté date de 1966 quand Giorgio le fleuriste du village s’autoproclame prince. Son successeur élu assure que Seborga n’a jamais été annexée par l’Italie. C’est surtout que l’Italie s’en fout.
De gauche à droite, les souverains de Molossia, de Hutt River et de la République de Montmartre
Dans le monde des micronations, le Sealand, Hutt River et Seborga font figure de jusqu’au-boutistes. Ils se battent pour la reconnaissance : user des vicissitudes de l’ordre international, trouver les failles dans le droit du premier occupant, dénicher les territoires artificiels non-réclamés, les no man’s land frontaliers, les zones neutres et autres parcelles oubliées. Aussi, en s’installant sur la frontière franco-suisse, la principauté d’Arbézie profite d’un statut souverain légitime. « Très souvent, à partir d’un tout petit fait, ils (les micro-monarques) vont se fabriquer une légitimité. Ils veulent se raccrocher à l’histoire, à la géographie et au droit. Mais ça ne tient pas debout devant un spécialiste du droit international » contrecarre Bruno Fuligni. La reconnaissance d’un État est une procédure pas possible. Ce doit être une nation, un peuple. Le pays où l’enclave se trouve doit le reconnaître et patronner son entrée à l’ONU. Etc…
Malgré tout, la plupart des sécessions politiques micronationales demeurent fantaisistes. La tentative d’instauration d’une République de la Nouvelle Afrique entre dans cette catégorie. Ce projet démesuré d’un illuminé restera dans les anales. L’idée ? faire de cinq états du sud des Etats-Unis, de la Louisiane à la Caroline du Sud, un territoire afro-américain dans lequel les Blancs auraient été privés du droit de vote. Un autre souffle ethnique a fait parler de lui outre-atlantique : la très éphémère Nation d’Alcatraz, quand des militants indiens ont pris possession de l’île et sa prison désaffectée pour faire valoir leurs droits. En Australie c’est une autre minorité qui donne le change. Le Royaume Gay et Lesbien s’est installé sur une petite île de la barrière de Corail. Passons sur les nombreuses expériences d’une restauration neo-nazie, un peu partout dans le monde.
Bruno Fuligni note que deux utopies communautaires de cette veine micronationale sont entrées dans l’histoire en devenant des pays, des pays reconnus : Israël et le Libéria – retour sur le continent noir d’esclaves afro-américains affranchis.
La création d’un pays pousse aussi à son paroxysme n’importe quel activisme. L’acte militant par excellence, un bon moyen de se faire entendre. Greenpeace l’a bien compris. Le collectif a investi un îlot rocailleux de l’Atlantique pour fonder le Waveland. Ce rocher ressort davantage du coup marketing, pour Bruno Fuligni. Selon l’historien, la micronation peut s’instaurer dans le simple but d’attirer l’attention. Pour une cause ou contre l’oubli. Comme la commune d’Embo en Écosse qui, face à au sentiment d’abandon et à la fermeture de son école, a fait sécession pour « un jour ». Juste le temps de s’offrir une couverture médiatique monstre et de s’attirer l’amitié de tout un pays. Une manière de faire revenir les touristes, par-dessus le marché.
Jusqu’au bout de la blague
Si ces mouvements partent de revendications sérieuses, d’autres ruptures sont purs canulars. Entre autres entités en toc, l’État Indépendant de G(H)anasie basé en France souhaite lors de sa création éliminer le fonctionnariat, qui ne sait « faire que des pauses entre deux grèves ». Il en va de même pour les initiatives contre-culturelles comme le Royaume de l’Autre Monde. Ces quatre hectares de République Tchèque dirigés de main de fer par Sa Majesté Patricia 1er, forment une monarchie matriarcale combinant femmes dominatrices et hommes esclaves. En fait une propriété privée pour sado-maso.
Les ruptures des micronations sont donc plutôt d’ordre culturel (religieux, artistique, militant…). Une manière d’organiser son groupe de référence avec humour, esprit critique ou folie. Au début du XXème une brochette d’artistes un brin réactionnaire établit la République de Montmartre sur les hauteurs de la Butte pour s’opposer aux « dérives de l’art contemporain ». En fait une association loi 1901 se dessinant au fil des années un trait caritatif et concourant au rayonnement du quartier. Jean-Marc Tarrit, son président actuel, explique ce choix d’un semblant d’organisation politique : « singer la République française », tout simplement. Bruno Fuligni y voit davantage un club de notables montmartrois, une confrérie au genre maçonnique.
Les explications que nous donne le président de la République de Molossia, terrain privée au fin fond du Nevada aux Etats-Unis, vont dans le même sens : “Molossia est essentiellement une preuve d’autodétermination, un exercice politique et, on peut le dire, une satire politique. En imitant le comportement des pays reconnus, nous nous moquons d’eux”.
Georgette Bertin-Pourchet redoute l’amalgame. “On travaille sérieusement, mais on ne se prend pas au sérieux” jure-t-elle avant d’ajouter, la vérité en face : « Si on nous donnait notre indépendance, on serait drôlement embêtés ». La République du Saugeais est « partie d’une boutade ». Quand le père « qui adorait charier » de Georgette, proprio d’un restau à Montbenoît, demande au préfet un laissez-passer pour rentrer au Saugeais, ce dernier lui répond « Je vois que ça ressemble à une République ; à une république il faut un président, je vous nomme président ». Georges Pourchet prend la farce au mot. La République du Saugeais ne prétend qu’à promouvoir le folklore du bled. Il faut dire que les Saugets, par une histoire originale, se sentent particuliers.
Cette république symbolise la mémoire d’une communauté religieuse rangée en bordure des seigneuries dès l’an 1000. À la mort de Georges, sa femme Gabrielle est élue « à l’applaudimètre et à vie ». Et en 2005 quand Gabrielle, devenue une figure régionale ultra médiatisée, disparaît à son tour, c’est Georgette qui est élue. Une république héréditaire, en quelque sorte. Un peu comme une passation de pouvoir en République Populaire Démocratique de Corée. Du Nord. La candidature de la fille des présidents bénéficie du soutien des élus de la région. Si Georgette rejette en bloc tout rôle politique et en appelle sans cesse à la plaisanterie, elle ne se targue pas moins d’être présente à toutes les cérémonies régionales, au même titre qu’une élue.
Avec autant de fierté, elle relate un épisode surprenant de la vie politique locale. Un sous-préfet, « qui ne comprenait pas que la présidente passe avant lui », a tenté un boycott régional du Saugeais. Résultat : c’est lui qui a valsé, sans autre forme de procès. Parti en Corse se frotter à de vrais indépendantistes, s’amuse la présidente. En matière d’État blagueur, on a vu moins influent. Que la République ait ainsi pignon sur la vie locale traduit une volonté de conserver l’ascendant sur les communes du Saugeais. Les gens sont en tout cas obligés de faire avec la blague. Bruno Fuligni rappelle que le Saugeais possède des origines suisses-allemandes. L’exemple des cantons suisses, autonomes vis-à-vis de l’État, doit influer sur ces esprits séparatistes. Ou tout au moins gonfler leur particularisme.
Sa majesté le Roi Montague 1er du Royaume de Calsahara, « Duc de Chutney, comte de Monte Christo, Baron de Biscuit, prétendant au trône d’Angleterre, Grand Chevalier Commandeur de l’Ordre Royal du Cœur du désert » et autres titres.
Partie d’une plaisanterie, la Principauté de Baldonia Extérieure s’est aussi donnée des airs souverains. 1948, lors d’une partie de pêche bien arrosée, un riche lobbyiste proclame l’indépendance d’une île de la Nouvelle Ecosse. Le « Prince des Princes » y garantit le droit de boire, de jurer, de parier et de mentir sur les prises de poissons. Par un tour de passe-passe et grâce à l’étourderie d’un fonctionnaire, la Principauté se retrouve par mégarde sur la liste des pays reconnus pas les Etats-Unis. En pleine Guerre Froide, l’URSS se saisit de l’histoire et taxe le Prince de « Fürher d’Outer Baldonia ». Le monarque déclare alors la guerre à l’Union Soviétique. Baldonia restera comme le seul pays étant rentré – officiellement – en guerre contre Moscou. Sans blague.
En février 2007, le Palais de Tokyo présente l’exposition ÉTATS (Faites-le vous même). Ce qui ressemble à une conférence de mini-pays non-alignés présente alors un panel de nations-concepts , toutes « réponses créatrices au climat politique global ». Ces nations fabuleuses-là, baptisés nations-concepts, sont artistiques de toutes pièces. Encore une nouvelle façon d’aborder la micronation.
Dans le lot, la plus célèbre s’appelle Nutopia. Fondée un 1er avril (lire la déclaration d’indépendance) par John Lennon et Yoko Ono, la Nutopia n’avait aucun territoire et ne reconnaissait que les « lois cosmiques ». L’ex-Beatles, premier citoyen, a demandé l’immunité diplomatique et l’admission à l’ONU de son utopie dont l’hymne national se composait de trois secondes de silence. Le Groland, par exemple, rentrerait dans cette case de nation-concept. Entièrement fictif, ne revendiquant qu’une territorialité télé, organisant des événements In Real Life, et créé pour parodier, le show peut être considéré comme une micronation.
Autant d’idées d’États qui ont un côté « concours Lépine » s’amuse Bruno Fuligni.
L’homme qui voulut être roi
Dans son ouvrage Ils ne siègent pas à l’ONU, Fabrice O’Driscoll fait état de la préférence monarchique comme organisation du pouvoir micronational. La très grande majorité des nano-souverains sont rois, princes, empereurs, sultans… Au départ créations individuelles, les micronations meublent la solitude de ces monarques en herbe. Le choix monarchique a le mérite d’être plus valorisant question amour-propre. L’incarnation du mythe de L’Homme qui voulut être roi décrit par Kipling.
Pour l’historien Bruno Fuligni, le besoin de reconnaissance est le mobile inavoué de tous ces apprentis chefs d’État. Il prend l’exemple du Prince Léonard de Hutt River. Fermier dans le civil, il s’attribue une charge de penseur ; « sa condition princière lui permet de prétendre à une reconnaissance sociale». Le Prince Léonard voit les choses différemment : « Dans le Traité de Trahison Britannique, il est écrit que quiconque entrave l’accession au pouvoir d’un prince peut être inculpé de trahison. » Une raison comme une autre.
Bruno Fuligni pense que ce prévaut princier vient de l’inspiration des micro-États existants (Monaco, Lichtenstein…). Un label, quoi. Il souligne aussi la volonté de garder la mainmise sur sa création :
la monarchie est une sécurité
En créant une république électorale, on a vite fait d’être dépossédé par les urnes. La monarchie assure une emprise dynastique sur l’initiative privée. Quant aux micronations parodiques, le choix de la couronne est le meilleur des miroirs grossissants pour railler nos présidents.
La préférence monarchique répond aussi à une « exigence symbolique » selon O’Driscoll. Édifier une micronation c’est rechercher le plus souvent un cadre esthétique. Un protocole, un décorum, dont ces autocrates à la petite semaine se sentent écartés dans nos grands États-Nations. Alors ils déballent un arsenal de symboles. Tout ce qu’une organisation étatique peut avoir de cérémonial est bon à prendre.
Les portefeuilles tout d’abord. Les micronations offrent des postes de ministres, députés, sénateurs, ambassadeurs, comme une pochette-surprise, et se donnent l’allure d’une vie politique. Au Saugeais, Georgette Bertin-Pourchet se réjouit : « J’ai un premier ministre, un secrétaire général, deux douaniers ». Tous bénévoles, souvent retraités, ils sont avant tout amoureux de leur terroir. Bruno Fuligni constate que rapidement, comme dans une cour, « Les gens jalousent leurs prérogatives. La politique produit ses effets habituels, même à ce niveau-là ». Jalousie, convoitise, lutte d’influence, les symptômes du pouvoir peuvent venir gâcher la fête. Inventer des cabinets fait partie du jeu. Exemple : Michou, l’homme en bleu des cabarets, tient les rênes du ministère de la nuit dans la République de Montmartre. La douane représente le summum de l’ancrage territorial et des frontières micronationales. Pour passer les douaniers – déguisement crédible – du Saugeais, un laissez-passer de la Présidente est ici indispensable.
Les habits font ces monarques. L’écharpe indispensable s’enfile au moindre événement. La couronne, la cape et l’épée, pour les puristes. Les grandes messes micronationales sont l’occasion d’un défilé en règle de tous les symboles. L’élection des citoyens d’honneur au Saugeais, l’adoubement des chevaliers à Seborga, sont deux rendez-vous immanquables dans leurs vies politiques respectives.
Les acquis micronationaux font la fierté des mini chefs d’États. “Nous avons notre propre bureau de poste, notre banque, notre radio, notre cinéma, notre Marine, notre agence spatiale, notre douane et à-peu-près tout ce qu’un pays plus grand aurait” se flatte le Président de la République de Molossia, dans le Nevada. Les Molossiens – Papa, maman et leur fille – ont développé leur propre programme spatial. À base de fusées pour enfant, cela va sans dire. Le roi du Vikesland, au Canada a réussi à embarquer son drapeau dans une mission spatiale low-cost faisant de son royaume « la première micronation à sortir de l’atmosphère ». Ça flatte le patriotisme. Georgette Bertin-Pourchet se vante elle d’avoir « des champions olympiques de la République du Saugeais ». Des biathlètes qui ont gagné l’or, pour la France, aux JO d’hiver de Turin.
Blason, monnaie, hymne national, simulacre de constitution, on se dote de tous les éléments d’une identité nationale. Les timbres surtout sont édités par la majeure partie des micronations. La République du Saugeais a réussi à obtenir un timbre officiel par les PPT. Pour le plus grand bonheur des philatélistes. Les Saugets ont même tenté l’aventure de la devise, en imprimant quelques similis de billets. Cette fois-ci la Banque de France leur est tombée dessus. Le jeu lui aussi a ses frontières. Seule Hutt River a l’air de battre et utiliser sa monnaie sans souci. Pour Bruno Fuligni, la patience des pays envers les micronations trouve ses limites dès qu’on touche aux armes et à l’argent. Lever une armée ou l’impôt, ça ne relève plus de la blague. Il cite une anecdote « seborgienne ». La principauté a franchi la ligne rouge en immatriculant ses voitures avec les armes locales. Les plaques d’immatriculation étroitement liées à la fiscalité, l’État italien a remis les séparatistes dans le droit chemin.
Ministère des affaires étrangères
Les micronations n’ont pas leur ONU. Les tentatives d’organisation supra-micronationales sont nombreuses, mais échouent presque toutes devant l’individualisme des projets. Il y a bien eu la Ligue des États sécessionnistes, lancé par le respecté roi de Talossa qui prônait « un monde au 10.000.000.000 de nations ». Mais rien d’équivalent avec l’UNPO (Unreprensented Nations and People Organisation). Basée à La Haye, elle représente les « vraies » populations non admises à l’ONU : Tibet, Aborigènes, Kurdes, etc… Seborga, loin de correspondre aux canons de l’UNPO, se sent pourtant y appartenir. Les autres organisations sont plus orientées politiquement. Des regroupements de micronations marxistes ou autres.
Avant de se faire admettre dans le concert des nations, les micros souhaitent se faire valider par leurs semblables. Ces territoires de pacotilles signent des traités de reconnaissance mutuelle pour asseoir une légitimité dans ce mini-monde. On assiste à de drôles de cérémoniaux diplomatiques. Par exemple quand le roi Christopher du Vikesland (au Canada) rend une visite officielle au Président de Molossia (en vidéo ci-dessous), ou quand le roi absolu du Calsahara fait défilé son armée (lui) au Vikesland, ça donne lieu à des vidéos inimaginables.
Les vidéos sont un bon moyen de communiquer, de promouvoir la micronation. Le Saugeais a mis en place Télé Saugeais dans les années 70. Suite à son succès, la télé séparatiste a eu le droit d’occuper durant quinze minutes chaque mois l’antenne de France 3 Framche-Comté, de 1989 à 1995. Un vrai média pirate. Pour renforcer l’attraction, les moyens sont nombreux. Outre les médias ou l’utilisation intensive d’Internet et ses réseaux sociaux, ces pays de fortunes commercialisent des goodies. Passeports fantaisie, timbres, tout peut faire l’objet d’un souvenir remplissant les caisses de « l’État » où l’argent est moteur. Le best-seller reste la vente de titres. Ministre, chevalier, marquis, ambassadeur, les micronations monnayent sans vergogne les hautes sphères de leur organisation. En contrepartie, on reçoit sa carte d’identité, son passeport, son diplôme. Bruno Fuligni justifie cet attrait : « il y a un certain romantisme d’adhérer à un État farfelu ». On aime l’idée d’avoir cette nationalité choisie, ce titre fait maison.
Vers l’infini et la virtualité
Avec Internet, le nombre de micronations a explosé. Sans compter les micronations virtuelles se situant dans des « métavers » comme Second Life, ou les ImagiNations, animées par un seul « joueur ». La micronation devient alors légitime grâce au réseau Internet, au forum qui permet aux citoyens de s’exprimer. Sur le web, on assiste à l’instauration d’une nouvelle diplomatie. Les appareils d’États se tissent aux quatre coins du monde avec des cyber ambassadeurs qui établissent des relations diplomatiques avec d’autres micronations. Ces États pirates online sont aussi soucieux du protocole que leurs pendants territoriaux. Avec toujours la même préférence pour le système monarchique. La gratuité des titres, la participation à la vie politique sans bouger de son écran, le pouvoir en un clic, rendent plus accessible une laborieuse création d’État. Le cyberespace offre des territoires de fantaisie encore peu explorés. Le géographe Frédéric Lasserre, dans un article intitulé « Les hommes qui voulaient être rois. Principautés et nations sur Internet », publié sur le site Cybergeo, constate que depuis l’avènement d’Internet, on assiste à une réelle déterritorialisation. Les possibilités des nouvelles technologies, dans la communication ou la mobilité des capitaux, agissent sur l’évolution des États. Ainsi les micronations se pensent de moins en moins en termes d’espace. Selon le géographe, l’État post-moderne lui-même devrait « affirmer la possibilité d’une citoyenneté non territoriale » et prendre conscience des « dangers des revendications territoriales et de ses conflits ». Comme si le modèle « micronational » virtuel devait s’adapter aux réalités gouvernementales.
Le géographe Gilles Fumey pense que l’ancrage territorial – terrestre -, reste, pour l’homme, le seul « antidote à toutes les formes d’organisation qui le dépassent ». Ainsi les rencontres entre virtuels compatriotes se multiplient IRL (In Real Life). Quand on se prend au jeu online, l’envie d’enraciner par des frontières concrètes son territoire se manifeste rapidement. Les micronations virtuelles se mettent même à revendiquer des territoires tordus. L’empire d’Aerica (des amoureux de jeux de guerre), outre 2 m2 de trottoir à Montréal, brigue quelques hectares sur la Planète Mars, un bout de banquise ou l’hémisphère nord de Pluton.
Le phénomène des micronations va s’accroître, promet Bruno Fuligni. De quelques dizaines au début du XXème siècle à plusieurs centaines aujourd’hui – voire milliers si l’on compte les virtuelles -, elles découlent de l’évolution de nos pays. Les micronations se situent « à la jonction de la démocratie et de l’individualisme », le signe exactement des sociétés modernes. Ce qui explique aussi que le gros des troupes soit d’origine anglo-saxonne. L’individualisme libéral, le sens exacerbé de la propriété privée, une culture moins forte de l’État, trois leviers sécessionnistes qu’on trouve dans cet Occident anglophone. En France, ou dans les États autoritaires, l’indépendance se perçoit plus mal.
Les sécessions, « rejet de l’anonymat dans lequel le confine son ‘macro-Etat’ » selon fabrice O’Driscoll, blague ou pas, devraient s’intensifier à mesure que le monde se démocratise et que l’abolition des frontières avance. En temps de crise et de mondialisation, l’ère du Big is beautiful se termine. Le « petit » fait son retour, on cherche de nouvelles solidarités, des clans 2.0 ou bien réels. L’investissement des micronationaux qui se donnent corps et âme à leur petite citoyenneté peut faire pâlir la droite décomplexée. Un écho minimaliste au débat sur l’identité nationale. Une micro-idée pour repenser l’idée de citoyenneté.
Un article initialement publié dans Snatch Magazine
ALLER PLUS LOIN
Bruno Fuligni, L’État, c’est moi. Histoire des monarchies privées, principautés de fantaisie et autres républiques pirates (Éditions de Paris)
Fabrice O’Driscoll, Ils ne siègent pas à l’ONU (Les Presses du midi)
Micronations, The Lonely Planet Guide to Home-Made Nations (Lonely Planet)