Plongée culturelle, historique et scientifique au Pôle Sud à l’occasion de la sortie du livre « Vostok, le dernier secret de l’Antarctique. »
Mardi j’avais prévu de vous parler de l’Antarctique et voilà qu’il s’est mis à neiger à gros flocons, dès minuit, blanchissant le haut de Paris et très certainement le haut d’autres ailleurs mais je suis géo-auto-centrée.
Je me dis que j’ai quand même un bol fou, ou alors que je contrôle le climat, hypothèse qui serait, sans aucune gêne, défendue par n’importe quel film se déroulant en Antarctique. Le 6ème continent attire et attise le genre cinématographique, horreur et fantastique se disputent les huis clos gercés. The Thing, par exemple, s’y reproduit tous les 30 ans : « La chose » de l’espace vient, au choix, de 1951 tout de noir & blanc vêtue, de 1982 ambiance Carpenter, Kurt Russell en bandana et whisky 80’s ou enfin de 2011 en images léchées, effets spéciaux tout azimut. Sur la glace qui joue l’écran blanc, on croise aussi les grosses bébêtes de Godzilla ou du très subtil Alien Vs Predator.
Il y a du niveau.
En Antarctique Disney plante des navets en adaptant à la sauce blonde l’Antarctica Japonais de 1983. De son côté, le manchot, un des seul animal à la ronde, tient le haut de l’affiche en se serrant les nageoires : « La Marche de L’Empereur » fait copin copin avec son making-off primé « Des Manchots et des Hommes » et sa parodie ricaine « Farce of the Penguins » narrée par Samuel L. Jackson.
Et puis une bourrasque un peu énervée révèle les surprises qui se sont évadées du documentaire, qui se sont libérées de l’évidente série b.
Le pitch de South of Sanity sorti en octobre dernier, n’a rien de fondamentalement original : une station de recherche coupée de tout, une communauté de scientifiques, l’un d’entre eux est un serial killer…Toc, toc, toc, qui est là? C’est la paranoïa…
La réalisation du film, par contre, laisse rêveur, South of Sanity a été entièrement tourné en Antarctique, durant la longue nuit polaire. Une rareté qui n’a rien d’anecdotique, le réalisateur n’est autre que le guide et moniteur d’escalade d’une des bases de recherche, il embarque avec lui le médecin de la station qui devient le scénariste et maquilleur. Quant aux acteurs, l’équipe de scientifiques et autres personnels de la base se prennent littéralement au jeu. Le film a été réalisé pour passer le temps dans cette éternelle nuit…Un tout petit budget pour une atmosphère indéfinissable et surtout inimitable.
Et puis il y a, bien sur, le magnifique, l’envoutant Werner Herzog, son « penguin » suicidaire, ses exilés volontaires de l’humanité, ses scientifiques géniaux et un peu fous, qu’il immortalise en 2007 dans Rencontres au bout du monde (Encounters at the End of the World).
Ils sont les miraculés glacés sur pellicule…
Mais le véritable exploit, la narration la plus folle l’histoire la plus palpitante, sur le 6ème continent, c’est la réalité. Oui, comme ça, j’enfonce des portes ouvertes et je m’en fous, en Antarctique y a pas de portes. La réalité, voyez vous, dépasse tous les scénarios imaginables.
Maintenant fermez les yeux, bon non, en fait rouvrez les, en lisant ça fait comme un couac. Imaginez un monde de ténèbres permanentes, où les températures descendent parfois jusqu’à – 89°, où le seul son est celui des rafales de vent allant à certains endroits jusqu’à 300 km/h. Des rafales qui hurlent, crient, font trembler les murs jusqu’à l’âme, résonnent sur la glace et rebondissent sur le vide. Dans ce désert mortel, les solitudes s’accrochent les unes aux autres, oublient les conflits qui les opposaient jusqu’alors et s’entraident pour survivre, pour explorer, pour avancer.
Non, ce n’est pas le pitch du Jour d’Après, cette situation post apocalyptique existe bel et bien et ça fait un bail, voire deux selon vos proprios. Nous sommes dans les années 50 en Antarctique et depuis les années 30 les bases de recherche se sont multipliées. En pleine guerre froide se signe donc un pacte scientifique, pacifique, et d’entraide entre des nations qui par ailleurs se haïssent.
Le traité de l’Antarctique signé en 1959 par l’Afrique du Sud, l’Argentine, l’Australie, la Belgique, le Chili, les États-Unis, la France, le Japon, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et l’URSS, et appliqué en 1961 au plus fort de la guerre froide, donne le 6ème continent à la science internationale et interdit l’exploitation à des fins stratégiques ou marchandes. Il est renouvelé en dans les années 90, il sera à nouveau reconductible aux alentours de 2040, croisons les doigts.
Comme quoi pour qu’une utopie survive, elle a plutôt intérêt à être inatteignable et invivable.
(si le sujet vous intéresse ici)
La base de Vostok est située au pôle d’inaccessibilité qui porte judicieusement son nom: il est situé au pôle du froid (-89,3 °C), à l’endroit le plus reculé de la planète (à 1 400 km de tout point de ravitaillement.
Peuplée de chercheurs passionnés qui ont contracté « le virus de l’Antarctique », la base est, depuis sa construction, le lieu de presque toutes les découvertes majeures en ce qui concerne le climat et son réchauffement.
C’est aussi le lieu où, l’année dernière, un lac souterrain situé à plus de 3000 mètres sous la glace a été atteint… (Ce qui ne manque bien sur pas de raviver les imaginations apocalyptiques, de type fin du monde, dinosaures vivants, passage vers le centre de la terre comme ce bon vieux Jules, sans oublier l’infatiguable extraterrestre.)
Jean-Robert Petit est glaciologue, directeur de recherche au CNRS de Grenoble. Il a surtout entrepris bien souvent le long voyage vers le continent blanc pour faire partie de ces équipes de Vostok, notamment celle du renommé Claude Lorius, qui ont foré le plus profondément possible dans des conditions folles, étudié la glace la plus pure, permis d’avoir une connaissance des changements du climat depuis 400 000 années et, plus important encore, qui ont apporté la preuve de l’influence de l’homme dans ces changements.
Eveiller la conscience écologique mondiale, c’est un boulot…
Il raconte, dans un livre passionnant, cette base russe de Voskov, à la fois utopie et enjeu international, abandonnée au gré des revers historiques et politiques (d’abord L’URSS la délaisse au profit de la conquète spaciale, puis l’URSS, ben y a plus), retrouvée par des australiens en goguette, retapée par des français et des américains, et puis, enfin, récupérée par la Russie.
« Vostok le dernier secret de l’Antarctique » se lit comme un roman historique à la plus dingue des intrigues, aux plus audacieux des personnages, une ode sans fioriture à la passion de la connaissance et de la découverte. Mais en mieux, mais en vrai.
Sans avoir besoin d’être un scientifique de haut vol, certaines parties sont juste suffisamment ardues pour éveiller une soif de recherches accessibles, on en apprend des choses. Jean-Robert Petit explique avec une pédagogie qui n’a rien de simpliste ni de condescendant – l’apanage des intelligences véritables -, les enjeux majeurs des découvertes prises dans et à la glace.
A travers l’histoire de Vostok, on fait l’aller-retour entre extérieur et intérieur, entre l’homme et la nature, la science et la psychologie, l’infiniment grand, l’infiniment petit et celui qui consacre sa vie à les étudier. On se balade de pôle en pôle, non seulement il y en a plusieurs mais l’un d’entre eux se déplace (pôle magnétique), dans les aurores australes (et non pas boréales qui sont au nord), on lève la tête vers l’atmosphère ionisée et les procédés radiophoniques, et on la baisse pour plonger 3000 mètres sous la glace…
L’histoire pourrait s’arrêter là, se borner à l’espace entre les deux lamelles d’un microscope mais avec Jean-Robert Petit, l’être est indissociable de la recherche. On arpente la base et les rapports humains hors du commun qu’elle réclame : les premiers de l’an où le jour est éternel autour de chansons russes et de l’indécrottable amour moscovite pour Patricia Kass, le huit-clos parfois morose de l’hivernation, l’ingéniosité qui se révèle dans la communion des esprits de débrouilles, la solidarité et l’humour qui vont de pair avec des conditions parfois intolérables, les films, éternellement regardés, films français matés en russe et vis et versa…
On imagine les « Erasmus » de chercheurs d’une base à l’autre et la joie des visites rares mais précieuses où chacun montre ses jouets à l’autre. On apprend qu’il n y a pas de douche dans une base, ben ouais, ça gèle, alors il y a un sauna, où tout le monde, sans distinction de rang, se retrouve à poil, à se fouetter à la mode russe pour faire circuler le sang avant d’avaler un petit verre de vodka salutaire. Le mythe révèle aussi ses failles : la pacification d’office n’empêche pas la compétition entre les pays et l’espionnage, hiverner demande de gérer l’ennui, la dépression, les échecs sont fréquents et les morts inévitables.
Mais en refermant le livre, on salue l’humain, sa capacité à repousser ses limites au delà du concevable juste pour pouvoir effleurer de l’esprit une parcelle de l’univers conservée dans une glace d’une pureté de conte de fée.
Parfois ça suffit pour relever la tête et regarder autour.
« Vostok, le dernier secret de l’Antarctique. » Jean-Robert Petit, Editions Paulsen, 19,90 euros, 245 pages.
Je vous conseille en passant les très belles photos de l’expédition « Tara Océan » dans les pôles, c’est là
Et c’est un livre chez Paulsen également