Déconfiné à Ménilmontant, ce musicien souple rend un hommage appuyé, écrit et produit avec beaucoup de doigté, à cet élément charnière de notre anatomie, véritable héros du quotidien.
« Il ne se mouche pas du coude. » Cette expression populaire, dont l’usage actuel remonte semble-t-il au dix-huitième siècle, a pour vocation d’identifier deux choses : d’abord, les personnes propres et bien élevées, à qui ne viendraient certainement pas l’idée d’évacuer le contenu de leurs cloisons nasales dans le creux de leur bras ; ensuite, métaphoriquement, celles et ceux « qui se la racontent à mort » ou « qui pètent plus haut que leur fion », affichant de grands airs raffinés ou de clinquantes possessions matérielles pour donner l’impression d’appartenir à l’élite bourgeoise. Nimbé de sa garde-robe d’un mauvais goût bling-bling assumé, on peut considérer que le vil étron de l’audiovisuel privé, Cyril Hanouna, ne se mouche pas du coude.
Oui, mais voilà : depuis quelques mois, aux quatre coins du monde, pour notre santé et celle d’autrui, encouragés par nos gouvernements, nous avons tous appris à nous moucher du coude – nonobstant notre classe sociale. À chaque seconde, le coude sauve des vies. Peut-on sciemment continuer à dénigrer cette pièce charnière de notre anatomie ? Sur le pont de L’Arche de Nova, un baladin se lève et signe aujourd’hui les prémisses d’un hymne national à l’articulation olécranienne, réflexion idéale avant de se jeter dans la fosse cubitale.
Ce Rouget De Lisle du radius, du cubitus et de l’humérus, c’est le musicien Rémi Libéreau, alias Teorem. Confiné à Ménilmontant, l’auteur épicurien de l’enivrant Soleil de Bacchus (2016), qui s’apprête à publier Surfe, single de dance naïve en prélude à son premier album à paraître à l’automne, a choisi de rendre un hommage appuyé, écrit et produit avec beaucoup de doigté, à cet élément corporel mal-aimé. Et tandis que la baronne Nadine de Rothschild considère encore que s’accouder à table est l’une des « pires choses » à commettre lors d’un repas, Teorem conclut, d’une voix robotique sur un tempo ragga : « N’est-ce pas le moment de se serrer les coudes ? »
Pour réécouter Teorem en live lors de notre émission spéciale avec Christophe Chassol, transformant au piano le générique russophile du jeu vidéo Tetris en ode à l’emboîtement des corps sans gestes barrières, c’est ici.
Visuel © Bohemian Rhapsody, de Bryan Singer (2018).