Face aux précautions sanitaires permanentes, l’auteur arlésien de « Par les routes » sent monter le désir pour l’invisible : « Narines, fossettes, lèvres qui s’humectent. »
« J’ai senti contre mon visage ses joues fraîches. Ses bises énergiques, joyeuses. J’ai senti l’odeur de ses cheveux, un peu mouillés encore (…) » Dans son dernier roman, Par les routes (Gallimard, 2019), ode à l’autostop – en tant que métaphore de la liberté : amoureuse, artistique, existentielle – récompensée du prix Femina, Sylvain Prudhomme prend plaisir à observer, tout comme son narrateur, les nuances des faciès de ses personnages. En particulier la frimousse de Marie, dont il ausculte chaque variation. « … j’ai demandé des nouvelles de l’autostoppeur. Il est parti, elle a dit. Parti, le lendemain de ta venue. Je ne sais pas quelle tête j’ai faite, quelle expression est passée sur mon visage. En tout cas elle a ri. Je l’ai regardé, assise dans l’air froid du matin, son regard formidablement enjoué. Son visage à demi enfoui sous des cheveux fous. Ses yeux mal réveillés encore. »
Mais dans notre réalité aux précautions sanitaires permanentes, comment continuer à deviner les émotions dissimulées sous les masques ? Réponse de l’écrivain arlésien, enthousiaste : « On va réapprendre à regarder les yeux, devenir experts en froncements de sourcils, champions en lecture de dilatation de pupilles. » Et l’auteur solaire des Grands ou de L’Affaire furtif d’évoquer, avec appétit, ce présent sans étreintes où les visages en partie inaccessibles se révèlent en fantasme ultime, où circulent des vidéos de bouches « en train de sourire, manger, dormir », en gros plan comme dans Paris de Raymond Depardon (1998), qui deviendra « le plus grand film porno de l’après-Covid ».
Pour lire les fabuleux scénarios imaginés pour l’an 2100 par Sylvain Prudhomme dans Libé, c’est ici.
Visuel © bouche de Faye Dunaway dans L’Affaire Thomas Crown, de Norman Jewison (1968).