Au Mans, le dessinateur d’« Alt-life » imagine une réalité virtuelle où le 9e art est devenu un besoin mondial, permettant enfin aux auteurs de vivre décemment de leur art.
« Ras-le-bol de vivre dans ce monde de merde. J’ai connu avant, ma petite, et laisse-moi te dire que là, j’en ai un peu marre. » Dans leur réjouissante BD intitulée Alt-life (éditions du Lombard, 2018), Joseph Falzon (dessins) et Thomas Cadène (scénario) projettent un futur proche où les réalités virtuelles sont désormais si perfectionnées que tous les fantasmes – sexuels, géographiques, architecturaux – peuvent être assouvis en une seconde ; comme dans la série Westworld, mais sans scénario pré-établi, à la demande du client. Sur une Terre devenue invivable, deux jeunes cobayes choisissent d’être les pionniers de ces univers simulés au gré de leurs envies, sans retour possible, en renonçant à leur corps. « L’Histoire de l’humanité, c’est de sortir de la nature. Nous finirons bien par devenir de purs esprits (…) Nous en finirons avec la mort (…) Nous nous coulerons dans le grand tout. »
Alors que le tome 2 d’Alt-life est annoncé pour 2021, Joseph Falzon vient de participer à Toute la France dessine, initiée par le Ministère de la Culture, via deux cases que les lecteurs sont invités à poursuivre. Se pourrait-il qu’un jour, la BD devient le centre de toutes les préoccupations ? C’est l’hypothèse formulée pour Nova par ce jeune dessinateur du Mans : les deux mois de confinement ont changé les habitudes de la population mondiale, qui se met soudain à binge-lire comics, romans graphiques et illustrés à gogo, d’Anouk Ricard à Charles Burns. C’est le « nouveau cool », forçant la France à prendre des mesures : face à l’afflux de demandes, Thomas Cadène accouche d’un scénario de sortie de crise économique, tandis que la nouvelle ministre de la Santé, Marion Montaigne, « autorise les médecins à délivrer leurs ordonnances sous forme de bande dessinée ». Mieux : un ministère de la BD est créé en France, qui permet enfin aux auteurs de vivre décemment de leur art ; « rémunérés tout au long du processus de création », ils ont droit au chômage, bénéficient d’un véritable statut protégé par l’État « et les contrats de commande mirobolants deviennent la norme ».
Mais comme dans Alt-life, « y a pas de révolutions sans risques ». Et Falzon de décrire la catastrophe écologique et énergétique qu’un tel engouement pour les phylactères pourrait produire d’ici 2080. Date à laquelle le genre humain se réinventera, en vivant… « sur de grandes arches ».
Pour découvrir les réalités virtuelles d’Alt-life, c’est là.
Visuel © Joseph Falzon, détail de l’affiche de L’Année de la BD 2020.