L’auteur parisien de « Cantique de la racaille » prophétise un avenir de créatures hybrides, avant l’avènement d’un « jeu, qui connectera nos mémoires et nos âmes à tous les aspects de notre Histoire ».
« Une amie m’appelle et me demande si je peux donner un coup de main à un réalisateur qui souhaite raconter son histoire, celle d’un fils d’agriculteur dont le père s’est suicidé. Je fais part de mes idées. Il s’agirait d’un village déserté, qui deviendrait une base mafieuse, dans lequel débarquerait une jeune députée. Il y aurait aussi un rebouteux. La productrice me regarde d’un œil torve. Personne ne saute au plafond en entendant mes magnifiques propositions (…), je creuse davantage. Oui, des éleveurs. Qui ont perdu leur troupeau. Un territoire sans femmes. Sans fécondité. Une zone de non-droit. Les paysans sont devenus des voyous pour survivre. Et paf, la République qui revient, sous la forme de jeunes et charmantes créatures. Bingo ! »
Les racines de ce palpitant thriller rural, qui ressemblent beaucoup à ce qui deviendra la trilogie Sainte-Croix-Les-Vaches de Vincent Ravalec (2018-2020, chez Fayard, en cours d’adaptation sur grand écran), apparaît comme un cas d’école dans son manuel d’écriture « de qualité », L’Art du beau mensonge, à paraître le 2 octobre et co-édité par Arte et Marabout. L’auteur de Cantique de la racaille (prix de Flore 1994, roman qu’il transposa lui-même au cinéma « d’une façon plutôt intuitive »), cinéaste et scénariste de BD, poète et parolier, qui signa plus d’une centaine de nouvelles (réunies récemment en volume de 1700 pages Au Diable Vauvert) et presque autant de scénarios jamais tournés, détaille ses techniques pour accoucher d’un script, avec verve, voix off, post-it et souci de cohérence.
Cet écrivain prolifique de 58 ans était donc très attendu sur le pont de notre Arche afin d’imaginer un futur désirable, « avec plus de prodiges, de surprises ». Nous ne sommes pas déçus : « Des filles de quinze ans tombant enceintes de créatures absurdes, des enfants à tête de chiens, des gens-oiseaux, des bras en serpents. La Réalité Virtuelle devenant si addictive qu’elle est un problème de santé publique, les utilisateurs se laissant mourir, oubliant de manger et de boire, désertant la réalité. Les neuronanotechs nous fusionnant aux machines. Les molécules psychotropes ouvrant dans nos cerveaux des potentialités latentes… » Mais tout ceci ne sera qu’une étape, le prélude à un « jeu » qui, « par accumulation des charges karmiques », connectera nos mémoires et nos âmes avec tous les aspects de notre Histoire, avant de « nous élever de la surface des sols ». Paré.e.s au décollage ?
Image : L’Île du Docteur Moreau, de John Frankenheimer (1996).