Ou comment réer un mouvement artistique en faisant les poubelles
Kurt Schwitters fut un grand artiste moderne, difficile à saisir, une sorte de franc-tireur, en parallèle au mouvement DADA. (Zurich 1916)
Il crée son propre courant, qu’il nomme MERZ (ironique : avec la deuxième syllabe de «Commerzbank»!). Son mouvement artistique est un défi : des oeuvres fabriquées uniquement à partir de rebus de la société industrielle, et un seul objectif : lutter contre la bêtise !
Sa grande oeuvre «Merzbau» recouvrait tout l’intérieur de sa maison de Hanovre, façon constructiviste* : des centaines de surfaces en bois ou plâtre, qui resculptaient l’espace, tout en y intégrant des collages, montages, œuvres de récup…
Un intérieur restructuré en œuvre totale, du sol au plafond, autour des mouvements cubistes, futuristes et suprématistes. Cette maison fut détruite en 1943 par les bombardements alliés.
Kurt Schwitters, en plus de peintre et sculpteur, était également poète, chanteur, auteur de théâtre et écrivain ! Cet artiste complet et doué sera régulièrement réédité (livres et disques).
Les éditions Allia nous livrent deux textes pleins de fantaisie, inspirés des dadaïstes (en l’occurrence plutôt absurdistes) et précurseurs drôlatiques du surréalisme : «Auguste Bolte» et «La loterie du jardin zoologique», datant respectivement de 1922 et 1926.
Auguste Bolte est une jeune femme obsédée par les chiffres et dotée d’une logique absurde : elle suit des gens dans les rues en les comptant et lorsqu’ils se séparent, elle tente de les suivre dans différentes directions!! Cette expérience de la vie fera d’elle une « docteur es vie »..
Actions, désordres, engueulades et logique absurde = humour décapant.
Ce texte est présenté par l’auteur comme une thèse de doctorat !
L’autre nouvelle, « La loterie du jardin zoologique », raconte comment des allemands moyens gagnent des animaux de zoo dans une loterie.. Mais lorsque les Schulze gagnent un lion et les Schönwetter un hippopotame, ça se complique… Il y aura même des morts et des blessés. ( Le sous titre de la nouvelle : Aide sociale aux Animaux )
Schwitters termine sa nouvelle par un avertissement, en forme d’aide sociale aux animaux, en indiquant aux zoos le devoir de donner à chaque animal son habitat naturel : désert, fleuve, montagne.. au lieu de sinistres cages en fer et ciment.
Vous l’avez compris, Kurt Schwitters nous propose de petits contes modernes, trépidants, pas si loin des petits films burlesques de Max Linder, Chaplin ou Keaton, ou les a priori, les obsessions, la vie urbaine, le statut social et tant d’autres bizarreries nous enserrent comme des camisoles..
Ce sont nos vieux archaïsmes, télescopés avec les nouveaux rouages de la vie industrielle et mécanisée, qui font de nous des pantins désarticulés, des automates ayant perdu leur but, et gesticulant dans le vide, à l’infini …
L’art doit faire réfléchir et changer ; sinon il ne sert à rien.
Les dadaïstes puis les futuristes et les surréalistes, et ensuite les lettristes et situationnistes furent des militants de l’action, de la révolution intellectuelle et si possible sociale.
Tous ont pondu autant de textes, de tracts, de manifestes que de toiles ou de collages..
Deux nouvelles de soixante pages à 6€ euros le mini-livre , soit dix centimes la page !! ( aux éditions Allia)
_«Auguste Bolte »
_« La loterie du jardin zoologique »
( suivi d’un petit texte sur la rencontre de Schwitters et de l’artiste dadaïste Raoul Haussman, intitulé ANTI-DADA & MERZ)
*Le constructivisme, né en Russie en 1910, reprend au vol les acquis cubistes et futuristes. Il s’agit de retraiter l’espace pictural avec cercles, rectangles et lignes droites…( Malevitch, Kandinsky, Tatline, Pevsner etc.. ont laissé de superbes toiles et affiches cette période.)
Il deviendra l’art officiel de la révolution russe de 1917 à 1921, avant d’être condamné comme incompréhensible au peuple et nuisible !