Autrice d’une éprouvante autofiction sur un père incestueux, cette étudiante québécoise, en lice pour le prix Sade, nous dévoile les effets d’une « lune mauve » qui décuplera bientôt la puissance des femmes « de manière surhumaine ».
« Moi, le viol ne me fait plus peur du tout. J’ai reçu suffisamment de coups, de haine et de crachats pour ne plus trembler devant la possibilité d’un contact non désiré. Mon corps a été maltraité tant de fois, mes os battus, que ma chair a été vidée de son sacré. » Dans Chienne, sa brève « autofiction » publiée cette rentrée aux éditions Le Nouvel Attila, la Québécoise Marie-Pier Lafontaine, 32 ans, décrit par fragments les abus et sévices d’un père ignoble, incestueux et sadique sur ses deux filles, avec la « participation » de la mère – elle-même kidnappée, à 16 ans, par cette ordure de futur époux. D’emblée, la narratrice avertit son public : elle voudrait que ce texte « décime sa famille entière ». « Mon corps a été purgé de lui-même. Ses terminaisons nerveuses ne mènent plus nulle part. Il est devenu un objet comme un autre. Un sac de boyaux et de tripes dans lequel les hommes peuvent piger sans que je m’en formalise. Suffisamment d’hommes sont passés sur moi, m’ont éventrée, pour que le viol ne me fasse plus peur. Je peux désormais marcher librement dans la rue. »
Résilience-uppercut. Très éprouvant et fort logiquement nommé pour le prix Sade, le premier livre de cette étudiante en lettres de Montréal, qui pratique la boxe tout en revendiquant l’influence d’Annie Ernaux, Christine Angot ou Chloé Delaume, frappe comme un direct à la mâchoire, où les coups continuent de pleuvoir alors qu’une main a été levée pour dire à l’arbitre de faire cesser l’avoinée. Cette violence à répétition, que Marie-Pier Lafontaine dit connaître « intimement », a disparu dans la vision qu’elle nous adresse : dans son futur désirable, les rayons et la poussière d’une « lune mauve » décuplent la puissance des femmes « de manière surhumaine », réduisant à néant le risque d’agression sexuelle. Une force politique agite alors sa baguette aux quatre coins du monde : les sorcières, abracadabra.
Image : Suspiria, de Dario Argento (1977).