Pendant que l’émirat rachète les grands magasins, au Qatar, ce n’est pas vraiment le Printemps des poètes
D’un Printemps à l’autre, le Qatar se fait tantôt proactif tantôt rétrograde. Entre ouverture économique et censure politique, instantané des paradoxes qataris.
Printemps français
Des investisseurs qataris non identifiés (IQNI, équivalents humains des OVNI) devaient racheter le Printemps en s’associant aux Galeries Lafayette, a-t-on appris la semaine dernière. Déboutées en décembre dernier malgré une offre de rachat de 1,8 milliards d’euros, “les Galeries” avaient donc trouvé un allié de poids pour mettre la main sur leur luxueux voisin du boulevard Haussmann à Paris.
Leurs velléités hégémoniques sur le cœur commercial de la capitale (et sur la vingtaine d’autres magasins Printemps en France) ont cependant buté sur l’opiniâtreté du financier italien Borletti, qui détenait déjà 30% du capital du Printemps et qui est entré le 20 février dernier en négociation exclusive avec le fonds immobilier Rreef (teuton de son Etat, mais fixé / fisqué au Luxembourg) pour lui racheter les 70% qu’il détient. Il semble que les négociations aient abouti, ou qu’elles soient en passe de l’être.
Le comble dans cette affaire de gros sous (rachat estimé enre 1,6 et 2 milliards d’euros), c’est que Borletti est lui aussi associé à des IQNI… Allez savoir, c’est peut-être les mêmes !? En tout état de cause, il y a fort à parier (100% de chance de gagner) que des Qataris vont entrer au capital du Printemps. Au fond il importe peu de savoir lequel des grands investisseurs qataris a décroché le contrat – peut-être les détenteurs du célèbre magasin Harrods à Londres (Qatar Holding), ou ceux de l’immeuble Virgin Megastore sur les Champs-Elysées (Qatar Investment Authority) ou encore la détenteur du PSG (La Prince) .
En revanche, on peut se demander combien de temps encore les pétrodollars qataris continueront d’exempter le régime monarchique de toute espèce de libéralisation politique. En effet, alors que le Qatar rachète le Printemps, il en est un autre – de printemps – que les artistes qataris n’en finissent plus d’attendre.
Hiver arabe
C’est le cas du poète qatari Mohammed Al-Ajami, alias Ibn Al-Dhib, qui vient d’être condamné à une lourde peine de prison pour avoir écrit un poème licencieux contre le régime durant le printemps arabe. En première instance, Koulouna Tounès (« Nous sommes tous la Tunisie », ledit poème) avait fait condamner le poète de 37 ans à la réclusion à perpétuité. Sans doute touché par la grâce du texte, le tribunal a finalement décidé de réduire la peine à 15 ans. Youpi ! Il sortira à 52 ans de sa geôle… avec plein de poèmes sous le bras en plus (mouais…).
Officiellement, Al-Ajami a été condamné pour ce poème écrit en 2010, et jugé très-trop critique vis-à-vis du cheik Hamad ben Khalifa Al Thani (émir du Qatar) – le crime de lèse-majesté est passible de la peine mort dans la pétromonarchie. Des militants du Golfe affirment a contrario qu’Al-Ajami a été emprisonné pour un poème écrit au Caire en 2011 (en plein printemps arabe) et intitulé le Poème du jardin (selon le Monde) ou Poème du Jasmin (selon Amnesty International). On n’a pas réussi à le trouver en français, si vous avez des infos n’hésitez pas.
De nombreuses instances, personnalités et associations politiques se mobilisent pour faire gracier l’insolent : le Haut-Commissariat de l’ONU, le haut-commissaire à la syntaxe Laurent Fabius (également Ministre des Affaires étrangères), Amnesty International, Le Pen international (pas le lointain cousin, mais l’association d’écrivains)… Gageons que l’émir saura prêter l’oreille à ce concert de protestations. Pourquoi pas le gracier le 21 mars, jour du Printemps ?