L’histoire du Herr Dahmer qui fait un malheur, ou la genèse anti-hollywoodienne d’un serial killer
Le gift shop du grand mix vous fait descendre en cercle dans l’enfer des amitiés monstrueuses.
John « Derf » Backderf est journaliste et dessinateur. Il vit aujourd’hui à Cleveland, dans l’Ohio, cet état, capitale du caoutchouc, dans lequel il a grandit. Sa ville natale de Richfield est d’une triste ironie, le bled n’a rien de riche, ou de particulièrement pauvre d’ailleurs, nous sommes au début des années 70 et le bled n’a en fait rien du tout, rien qui le distinguerait des milliers d’autres comme lui qui jalonnent les Etats-Unis.
En 1972, Derf entre au collège local, le lycée suivra, la bande qu’il s’y crée aussi. Des ados comme il y en a tant, entre deux ennuis et deux envies, rien à signaler. Derf dessine, il croque très souvent un de leur camarade pour finir par l’insérer, tel un « chercher Charlie » de fanzine indé, dans tous ses dessins même les plus officiels.
Ce n’est pas à proprement parler un ami, mais lui et ses potes le fréquentent de plus en plus régulièrement. Il faut dire qu’il les fait sacrément rigoler avec ses imitations des crises d’épilepsie de son décorateur qui fichent le bordel dans la monotonie d’une petite ville.
Ce type est étrange, insolite, mais il est drôle et il fait parti de leur bande, du moins en est il la mascotte. La bande créent même son fan club dont Derf devient Ministre de la propagande.
C’est comme ça les amitiés lycéennes, le groupe étale, limite la plongée en profondeur dans les humanités troublées de chacun. Dans l’égoïsme propre à l’adolescence, rien d’étonnant à ce qu’ils assistent sans le réaliser à la descente aux enfers de leur curieux ami, sa folie se dévellope dans une indifférence générale.
Ce personnage troublé c’est Jeffrey Dahmer, surnommé par la suite et la presse, le « cannibale de Milwaukee », un des plus grand serial killer américain qui a sévit entre la fin des années 70 et le début des années 90.
Nous sommes en 91, Dahmer est arrêté. Alors qu’il devient un des serial killer les plus célèbre de l’histoire, cannibalisme et procès télévisé garantissent sa notoriété (voir en fin d’article), Derf, sous le choc de la découverte, décide d’écrire et de dessiner le Dahmer dont il se souvient, un type timide, solitaire, capable d’un charme et d’une assurance tels qu’à 15 ans ils se retrouvèrent, grace à lui, dans le bureau Ovale, devant le président des Etats-Unis, pour une visite de courtoisie.
Et puis Derf comprend que ça ne suffira pas, alors en 94 il entame une véritable enquête journalistique, trouve les anciens élèves, les professeurs, les rapports de police, la famille, les voisins, compulse les entretiens, un travail qui va durer 20 ans pour faire comprendre et pour comprendre lui-même la métamorphose d’un ado perturbé en monstre conscient de sa monstruosité. Il va éclairer l’humanité la plus sombre d’un trait noir et blanc remarquable d’équilibre entre une esthétique d’époque à la Crumb et une sobriété dense qui sied à la tragédie Dahmer.
Enfant délaissé discrètement, fascinations morbides, homosexualité refoulée dans une petite ville puritaine, alcool en quantité pour oublier et dont personne, dans les libres années 70, ne se soucie, on glisse de pages en pages dans le bourbier adolescent de Dahmer, dans les souffrances d’un esprit qui se sait dérangé, qui se débat, tente de se maintenir hors de l’eau mais ne rencontre que des surfaces lisses.
Entre recherche documentée et souvenirs personnels, la BD « Mon ami Dahmer » est intrigante, déroutante, et dérangeante aussi, car si l’auteur ne pardonne pas au tueur, ces 200 et quelques pages remarquables exhalent la tristesse, un remord latent, un intense sentiment de gâchis et cette irréductible incompréhension face à la noirceur d’un esprit familier, dans laquelle, pâlotte, miroite une lueur d’humanité accordée à rebours.