Plongée en profondeur dans le patrimoine musical du petit prince de l’abstract
Après s’être fait virer des platines d’un club de Miami, DJ Shadow était vendredi au Social Club, à Paris… L’occasion de ressortir cette interview de DJ Ombre à Nova.
DJ Shadow, quand même. DJ Shadow quoi ! En 1998, Josh Davis est le premier type à sortir un album uniquement composé de samples. Endtroducing devient rapidement un classique, porté par son Organ Donor venu de nulle part. Il pose avec cet album les bases d’un style qui sera plus tard appelé abstract hip hop.
Alors oui, DJ Shadow n’est plus ce qu’il était, et certains regrettent l’époque de ses deux premiers albums. Mais DJ Shadow a évolué, toujours au rythme de son amour immodéré pour la musique. Aujourd’hui, il presse lui-même ses disques et propose ses sélections par le biais de sa webradio, sur son site internet.
Isadora Dartial est allée faire une promenade musicale dans les oreilles d’un des DJ les plus cultes de notre époque. (qui est venu à la radio avec sa mère >> véridique).
Pour Shadow, la musique est participative. Et ça n’est pas qu’une jolie idée: il y a quelques années, il détourne les règles de l’industrie musicale en allant cacher sa musique gratuitement et à la sauvage dans les bacs des disquaires et invite ses fans à le remixer. « Tout ce que je fais aujourd’hui, dans ma vie comme dans mon travail, est en rapport avec la musique ». Shadow est un fou de musique, c’est ce qui le fait vivre.
Ce qui le fait vivre, et même mieux : ce qui l’a fait naître ! « Ca va paraître bizarre mais ma première émotion musicale, je l’ai eue avant ma naissance ». Effectivement, c’est très bizarre.
Il poursuit : « Mes parents étaient à un concert de Tower of Power juste avant que ma mère n’accouche. Quelquefois, je me dis que c’est pour ça que j’aime autant la funk : parce que je l’ai entendue quelques heures avant ma naissance ».
Mes premiers souvenirs musicaux sont des sons de mon enfance, vers 1975 et notamment la early disco qui me fait toujours beaucoup d’effet. Petit, j’aimais beaucoup « Don’t Go Breaking my Heart », d’Elton John. « Ca passait tout le temps à la radio. J’en avais marre de cette chanson mais je la chantais quand même! ».
C’est à l’époque du disco que les goûts du petit Shadow se forment. Il bloque sur « Funky Town » de Lipps Inc, qui lui fera aimer les « sons futuristes ». La première K7 que Shadow s’achète sera le premier album de Devo. Il se rappelle que le disquaire était très occupé ce jour-là. Puis, premier vinyle, Sugarhill Gang, « parce que ça me rappelle Grandmaster Flash. Pour moi, la référence ultime pour un DJ ».
Grandmaster Flash, la référence ultime pour un DJ
Pour son premier concert, Shadow se fait un gros kiff : 1988, il s’offre la tournée Def Jam, Public Enemy, EPMD… « On n’a pas pu entrer mais on est resté autour des coulisses, puis on est allés les voir à leur hôtel, au Holiday Inn ». C’est ce jour-là que Shadow décide qu’il deviendra musicien. Il a alors 16 ans. L’excitation est totale.
Mais sur scène, la véritable claque arrive en 1997, alors que Shadow joue la première partie du concert de Radiohead, juste après la sortie de OK Computer. un moment qu’il n’oubliera jamais.
Niveau production, c’est Jam On It de Newcleus qu’il retient. Il découvre le morceau en 1984, l’année à laquelle il acquiert ses premières platines(il a donc 12 ans) et commence à mixer. Un track électro rap qu’il continue à adorer aujourd’hui.
Shadow commence à mixer sur un disque de son enfance, Charlie Brown Christmas, sur lequel Shadow s’amuse avec les échos et autres overdubs… Il y passe tout son temps. Puis s’achète une MPC, et décompose le beat de Roadside 75, des O’Jahs. Ca lui plaît beaucoup. Il commence à toucher, puis à être fier de lui, puis à entrevoir ses possibilités.
Mais dans l’histoire de Shadow, s’il y a bien un disque qui a compté, « qui a changé ma vie », c’est The Message, de Grandmaster Flash, « la première vraie chanson de rap authentique que j’aie jamais entendue ». Une révolution.
Viendra ensuite Afrika Bambaataa et son « Planet Rock » qui achèvera de lancer Shadow dans les sphères rap. Josh Davis devient assoiffé de musique: il s’intéresse au rap anglais, à l’électronique allemande de Kraftwerk, à la scène japonaise, et se rend compte que non seulement la musique vient de partout dans le monde, mais aussi qu’elle le fait voyager partout dans le monde. Shadow n’est pas blindé mais claque tout son blé dans les galettes, uniquement en fonction de la jaquette – dans un premier temps.
Son premier mix, il le fera en 1987, à 14 ans, sur le campus d’une université où il est invité par son mentor, Orsh Washington. Il n’a aucune idée de ce qu’il doit faire ; il est nerveux. Washington le détend, lui dit de faire ce qu’il veut. Shadow stresse, puis se lance : il scratche le riff de guitare de Rock de Bells de LL Cool J. Il cartonne.
Uncle, Mo’wax, Quannum… Shadow, qui n’a plus rien à prouver, a laissé sa trace partout où il est passé. Aujourd’hui, il se sent plus inspiré par les hommes de l’ombre, les producteurs, que les pop stars. Pete Rock, DJ Premier ou même Kanye West : « j’aime sa façon de mélanger les genres, même si c’est une popstar ».
Ses platines, elles lui servent à passer de l’underground au mainstream. Pour l’inspiration, ça peut être autant du cinéma que n’importe quelle forme d’art, mais c’est toujours, absolument toujours la musique qui lui vient en tête en premier.
Il n’a pas encore parlé de James Brown. « Il a tout fait, tout inventé, notamment le son sur lequel j’ai grandi ».
DJ Shadow, homme de l’ombre, a dédié sa vie à la musique. Il attend toujours le jour où un son viendra le réveiller. A l’affût de la moindre musique, mais également du simple bruit, de n’importe quelle mélodie ou nouveauté.
Shadow croit en la musique comme d’autres croiraient en une religion. Elle le nourrit.
Il termine tout simplement : « music for me is everything ».
Ni plus, ni moins.