Qui dit année nouvelle dit bonnes résolutions. Entre les premières séances chez le psy, les abonnements aux cours de sport, les arrêts du tabac, de la viande, de l’alcool et autres penchants, une autre suggestion, plus éphémère certes, mais indiscutablement emballante : intégrer la sarabande du Festival Trente Trente, cette micro-société du spectacle vivant qui entreprendra de faire le tour et le détour de quelques questions en une trentaine de courtes-performances – comme il y a, au cinéma, des courts-métrages.
Pour sa vingt-deuxième édition, placée sous l’égide d’un éclipse solaire, le mot d’ordre sera, à l’exemple de ce symbole cosmique : beauté, dérangement, fascinations et singularités. Le tout, sous des angles aigus, le temps d’une apparition fulgurante – ici, maintenant, pas ailleurs. Trente Trente maintient le cap, envers et contre tous les aquilons, les conjonctures déplorables.
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Ce n’est pas le désarroi ou le désoeuvrement qui vont nous guetter. Parmi les choix multiples de cette stimulante programmation, fléchons-en quelques-uns. Tiens, au hasard (pas tout à fait) de la visée, évoquons, par exemple, le diptyque de seul.e.s-en-scène qui ouvrira le bal, le mercredi 15 janvier, dans les murs bleus de la Manufacture CDCN. Tout d’abord, L’Albâtre, de la Suissesse Clara Delorme – solo formule Malevitch, corps blanc sur fond blanc, où naissance et chant du cygne, origine et point d’orgue, se rejoignent en un point hors du temps.
Puis, We Are Nomad, pièce du danseur kenyan Fernando Anuang’a. S’inspirant du mode de vie itinérant du peuple massaï (dont il est originaire), Anuang’a, au fil de ses mouvements bruts onduleux, relie les nomadismes, met en regard ses formes ancestrales avec ses tournures contemporaines – humaines comme numériques. Une jonction grâce à laquelle il tente d’en éclairer la meilleure synthèse afin que « les nomades des temps modernes marchent avec la magnificence de leurs ancêtres, fiers et courageux, en quête d’une vie digne d’être vécue. »
Cette 22e édition de Trente Trente sera aussi l’occasion de jeter un coup d’oeil à l’exposition « All Eyes On Us » du plasticien et performer hollandais Gertjan Franciscus. Sur les murs des Avant-Postes, une poignée de toiles foisonnantes, chamarrées, qui sauront faire chatoyer vos pupilles ; des polyfigurations ébauchées selon des principes d’écriture spontanée, semi-automatique, devant autant au surréalisme qu’à l’art brut et au DIY.
C’est-à-dire que ces oeuvres sont créées, pour bonne part, sans préméditation : les personnages hybrides, leurs mouvements, leurs décors, se greffent et sont directement influencés par les premiers jets, traits, couleurs, formes et linéaments posés à la six-quatre-deux sur le papier ou le batiste. Principe cardinal : la confiance en ces filigranes, ces cadastres que la fantaisie artiste de Franciscus vient habiter pour édifier des quartiers enthousiastes, des saynètes bienveillantes d’une adelphité carnavalesque.
Cette exposition, Gertjan Franciscus ne la laissera pas seule, comme ça, dans le cadre ; il l’accompagnera également d’une performance baptisée Don’t Miss the Boat, dans laquelle il donne vie à certaines des créatures présentes sur ses toiles, protagonistes onduleux et colorés d’un conte de fée chelou et psychédélique.
On pourrait continuer à feuilleter la prog pendant un petit moment – et vous pouvez d’ailleurs le faire ici – fureter de-ci, de-là, et découvrir toutes ces créations tirant des bords vers la danse, la performance, l’installation, la musique, le théâtre – avec du thérémine, du Jean Genet, des créatures fantastiques et bien d’autres thèmes encore.
Mais, pour une raison que vous comprendrez au bas de cet article, nous allons nous dédier aux trois spectacles émaillant le parcours proposé, le samedi 18 janvier, entre Bordeaux et Le Bouscat. À l’Atelier des Marches, tout d’abord, avec Français, encore un effort pour être républicains, injonction du Marquis du Sade reprise, agitée par Vincent Nadal dans un exposé vif, ramassé et agitateur d’idées, dans lequel quelques traits d’ironie viendront piquer une brève relecture de notre contrat social, de ce vivre-ensemble à réaffirmer.
Suivra un portrait du corps au travail, du corps contraint par les conditions du travail. Les corps ouvriers et employés malmenés, cassés, broyés, ravalés au rang de rouage, de ressource humaine à épuiser par les diktats de l’emploi productif. Tel est le sujet de Workpiece, d’Anna-Marija Adomaityté et Gautier Teuscher, doublette suisso-lituanienne qui explore et interroge, s’appuyant sur des expériences et des témoignages dans un fast-food, les inscriptions dans le corps du capitalisme, de ses insatiables exigences productivistes. Si vous aimez Joseph Ponthus, Nicolas Framont ou Claire Baglin, pour ne citer qu’elleux, cette pièce dansée est pour vous.
Et enfin, troisième volet de ce parcours, Shadow of My Belonging du marionnettiste Renaud Herbin. C’est à ce Bordelais établi à Strasbourg que l’on doit ce curieux corps-à-corps entre l’homme et sa mounaque, son double de chiffon échelle 1:1 qui est à la fois un double et un fantôme, un autre indissociable, qui travaille l’artiste et qui le travaille en retour. Un pas de deux existentiel mis en scène, présence humaine et pensées florissantes, sur les semis de l’exil, de l’art, de l’altérité, sondant d’inattendues anfractuosités au son de l’oud de Grégory Dargent et du chant de Sir Alice – pas de Puppetmastaz, de « Marionnettes » façon Christophe ou de « Poupées de cire » parfum France Gall ici.
Et tout ceci n’est qu’un petit échantillon de cette belle quinzaine. Et figurez-vous que Nova Bordeaux vous offre des places ; des billets pour le brelan de spectacles évoqués plus haut, ceux du samedi 18 janvier – Français, encore un effort…,Workpiece et Shadow of My Belonging. Pour jouer, ça se passe dans le formulaire ci-dessous avec le mot de passe Nova Aime.
Festival Trente Trente #22, du mercredi 15 janvier au samedi 1er février @ Bordeaux. Plus d’informations sur https://www.trentetrente.com/