Au Royaume-Uni, les fléchettes sont en train de passer des arrières salles de bars crasses au sol collant de bière aux palaces londoniens avec carrés VIP et homards à la table. Longtemps ignorée, cette discipline aux origines populaires a désormais la côte… Et ça inquiète les puristes, qui craignent que les fléchettes ne tombe à son tour aux mains de la gentrification.
Le constat est sans appel : les fléchettes sont en train de se gentrifier, et ça inquiète l’Angleterre. La discipline est en train de passer des arrière-salles (un peu) crasseuses des pubs, aux (très) impeccables et luxueuses salles de la Culture, avec un grand « C« . D’ailleurs, Luke Littler, le nouveau champion du monde de fléchette, n’a même pas l’âge de se commander une pinte…
De l’obscurité à un championnat du monde à l’Alexandra Palace
C’était la semaine dernière, à l’Alexandra Palace de Londres (rien que ça), que le jeune adolescent de 17 piges n’a fait qu’une bouchée de celui dont on parle comme de la « légende néerlandaise » : Michael van Gerwen, l’un des plus grands joueurs de la discipline… La presse s’est empressé de faire de Luke Littler un genre de Léon Marchand britannique, lui imputant même le don d’avoir popularisé son sport. Il faut dire que le championnat du monde des fléchettes était plutôt sinistre et confidentiel dans les années 1990… Sauf que de nos jours, les billets pour les mondiaux de cette année sont partis en quelques minutes, parfois pour des sommes qui montaient jusqu’à 1000 livres. Les fans faisaient la queue dans le froid pour l’ouverture des portes, deux heures avant le début du match.
« Luke Littler pourrait ruiner les fléchettes à jamais »
L’engouement incroyable autour du jeune britannique offre un coup de projecteur absolument inédit à la discipline, qui effraie néanmoins les puristes. Le 4 janvier, le London Evening Standard, un journal anglais, titrait même : « Luke Littler fait appel aux pires fans de sport du monde : il pourrait ruiner les fléchettes à jamais. » Et par ruiner, il faut surtout comprendre « GENTRIFIER« . Le phénomène est bien réel, à en croire le papier de Gavanndra Hodge au Times. La journaliste britannique y raconte une des soirées caractéristiques du championnat : alors qu’une foule imbibée de bière chantait, déguisée en banane, en Spider-Man et autres zinzineries, dans les carrés VIP, les déguisements étaient interdits, et l’on y dégustait champagne et homard… Deux salles, deux ambiances, devant le même match de fléchettes.
La Louis Vuittonisation d’une discipline populaire…
Et la chose n’est pas limitée aux seuls championnats du monde, puisque des clubs de fléchettes londoniens proposent des repas luxueux similaires… Louis Vuitton a même mis en vente un “LV Dart Trunk » : un coffret avec six fléchettes monogrammées, pour la modique somme de… 31 500 livres. Pas si étonnant, puisque le lancer de fléchettes est devenu l’un des sports professionnels les plus lucratifs : l’année dernière, la PDC (Professional Darts Corporation, qui organise les mondiaux) a réalisé un bénéfice de 15 millions de livres, en hausse par rapport aux 12,2 millions de l’année précédente.
À bas le « glitterdarti » !
Les amateur⸱ices de sols jonchés de bière et d’ambiances ultra-festives sont donc sur leurs gardes pour ne pas perdre ce bastion d’un sport populaire. D’ailleurs, la gentrification des fléchettes, « darts » en anglais, porte un nom, c’est le « glitterdarti« , (“fléchette-paillette”)… Et les puristes sont vent debout !