Pendant que la Belgique ausculte les plaies de l’Affaire Dutroux, Nicole Kidman introspecte sa libido.
« Le Dossier Maldoror » : exploration d’un traumatisme national
Demandez à n’importe quel Belge quel reste l’évènement récent qui a le plus marqué le pays, il y aura de fortes chances pour qu’il réponde l’affaire Dutroux. Du nom de celui qui enleva et séquestra une dizaine d’enfants dans les années 90, en assassinant certains. Un cas resté un traumatisme national, notamment dans les errements de son enquête, ayant révélé un système policier et judiciaire défaillant, puis mené à sa profonde réforme. Quasiment trente ans plus tard, Fabrice Du Welz rouvre cette plaie, autour de l’enquête d’un jeune gendarme sur la disparition de deux gamines, qui va virer à l’obsession. Au-delà de cette traque, Le Dossier Maldoror est un récit étonnamment intime de la dévoration d’un idéaliste, à l’âme rongée par sa quête. De Calvaire à Inexorable, Du Welz a souvent filmé des personnages borderlines, mais prend ici de l’ampleur pour ausculter ce qui est devenue une névrose collective. Le Dossier Maldoror sera donc une saga qui se déploie autour d’une société, racontant, bien plus que l’affaire Dutroux, une identité belge, de la solidarité de plusieurs générations d’immigrés à la honte de n’avoir pas pu voir ce qui se tramait dans les maisons d’à côté, ou aux vestiges d’une ville comme Charleroi, un temps parmi les plus riches du pays, désormais dévastée par la précarité. Le Dossier Maldoror déborde alors brillamment du cadre prévu, quittant les rives des grands films somatiques d’enquête (comme Zodiac, repère ici clairement assumé), pour aller ailleurs. Par exemple le temps d’une extraordinaire scène de mariage, ou d’autres scènes immersives qui se rapprochent du travail de sédimentation d’un Michael Cimino, en prenant le temps de raconter comment un tel fait divers contamine une population entière. Voire, par la galerie de protagonistes directement liés à Dutroux, devenir une perturbante étude du Mal ordinaire et de sa complexité. Elle est confirmée par le titre du film – dans la réalité, l’opération policière avait pour nom Othello – citation des Chants de Maldoror, texte du poète surréaliste Lautréamont où l’on pouvait lire le résumé le plus évident du fond de ce film cherchant ce qu’il peut rester de lumière dans la plus grande des noirceurs : « il est beau de contempler les ruines des cités ; mais, il est plus beau de contempler les ruines des humains !«
« Babygirl » : une vision au scalpel d’un monde contemporain
Dans Babygirl, c’est Nicole Kidman qui se retrouve en ruines. Ou du moins son personnage de PDGère d’une boite de new tech de plus en plus troublée par un stagiaire qui l’initie à des jeux sexuels autour de rapports de domination. Annoncé comme une intrigante version cérébrale de thriller érotique, Babygirl est plus émoustillant dans ce qu’il cache derrière sa culotte : une vision au scalpel d’un monde contemporain où le capitalisme et ses enjeux de pouvoir seraient devenus une forme de frigidité ayant pris le dessus sur les corps. Cette veine politique palpite malheureusement moins qu’une intrigue planplan de trahison conjugale, quand ce n’est pas le frein à main qui est mis sur tout ce qui touche aux pulsions SM pour s’aseptiser autour d’un propos basique sur les valeurs du consentement. Plus intéressante, la performance de Kidman, en patronne et épouse découvrant que se laisser submerger par ses désirs est plus épanouissant que d’être en permanence dans le contrôle. Une piste intrigante qui s’évanouit toutefois quand Babygirl tend toujours plus vers un remake inversé (cette fois-ci c’est l’épouse qui s’aventure dans la transgression), y compris donc dans le casting de Kidman, d’Eyes Wide Shut, pour arriver à la même conclusion ultra-conservatrice d’un retour au foyer et d’une mise sous le tapis de tout ce qui pourrait déranger la norme conjugale.
Le Dossier Maldoror / Babygirl. En salles le 15 janvier