Le secret le mieux gardé de l’underground US
Kim Deitch, grand dessinateur américain, a été littéralement éclipsé par Robert Crumb au point de rester inconnu en France. Un seul album traduit chez Denoël, dont NOVA avait fait l’apologie en 2004, «Une tragédie américaine», qui retraçait le paradis perdu du spectacle américain, devenu édulcoré et politiquement correct.
Car les cirques, fêtes foraines et théâtres américains des années 1910, 20, 30 et 40 – comme dans le film «Freaks – étaient des shows choquants, assez monstrueux et violents. Et le puritanisme américain a gagné, en les interdisant. Oui c’était fou, dangereux et spectaculaire.
Le peuple allait se défouler avec les femmes à barbe, les géants, les nains, les animaux et les stands de tirs ou de lutte, jusqu’aux exploits dangereux des acteurs : trapèze, fauves, serpents, lancer de nains, d’ enfants, de couteaux et autres bagarres, plongeons vertigineux dans des bacs, femmes obus tirées par des canons, courses de motos et avions, montagnes russes, stock-cars…
Kim Deitch regrette ces décennies de décors, affiches, costumes, personnages étranges et flamboyants, dioramas, qui sont les ancêtres de tout spectacle, cinéma ou concert. Les voyantes avec boule de cristal, les automates mediums, les acrobates contorsionnistes, les avaleurs de sabres, jusqu’aux pétomanes, qui sont impensables aujourd’hui. Même la souris Mickey, que Walt Disney avait créé agressive et bagarreuse, a du tout lâcher de ses manières punks.
Le père Gene Deitch faisait des dessins animés bien castagneurs et rétros dans ces années folles, d’où l’intérêt de ses fils : le frère de Kim, Simon fait des scénarios dans la même veine.
Ceci pour vous situer l’ambiance et la direction : l’âge d’or du spectacle américain, qui se situe plus tôt qu’on ne le croit en Europe, et qui n’a pas fini d’être exhumé.
Des studios comme les frères Fleisher, venus d’ Autriche, qui faisaient Popeye ou Betty Boop, c’est-à-dire, baston et sexy, ont fermé en 1937, battus par Disney. Et même chez Disney, le grand cartoonist Carl Barks, au style baroque et raffiné, dut céder la place à une ère plus lisse, ronde, gentille et gnan- gnan avec princesse et petits oiseaux, biches et princes charmants.
Voilà tout ce que nous dit discrètement Kim Deitch : la perte progressive du style, de la force du rêve, des sentiments vrais et profonds, remplacés par une culture teenager bubble-gum et pastel.
Aujourd’hui, un auteur comme Philip Roth reconnaît que l’Amérique a été blessée grièvement par le Vietnam, puis achevée avec le politiquement correct… Terrible constat. Plusieurs révoltes ont eu lieu : Le Blues dans les années 40, le Rock dans les 50, la Free Press dans les 60, le Punk dans les 70, pour retrouver un peu de vie et échapper au puritanisme anglo-saxon. Aujourd’hui les Américains, encadrés par un show-business propre et formaté, se défoulent sur les armes.
Mieux vaut, en définitive, découvrir Kim Deitch et son monde presque disparu, mais qui reviendra car nous en avons tous besoin.
PS : Kim Deitch c’est aussi des mises en page façon presse rétro et beaucoup de vignettes, streamers, étiquettes, timbres, typographies, cadres et frises qu’il a relancé dès les années 60 dans la Free press.
« Une tragédie américaine » par Kim Deitch chez DENOEL graphic
Traduit par Liliane Stajn.
Allez voir expo et festival Formula Bula autour de Mezzo et Pirus.
A Mains d’œuvres (St Ouen) + Deitch du 23 au 26 mai + d’autres lieux avec concerts, films , expos sur Formulabula.tumblr.com. Jusqu’au 14 juin.
A noter : Kim Deitch sera présent samedi 25 mai à Mains d’oeuvres, à partir de 15h. Vous pourrez l’y rencontrer !