Interview de George Pelecanos, scénariste et romancier américain
George Pelecanos est un écrivain et scénariste américain. D’origine modeste, il est fils d’immigrés grecs. Depuis bientôt 20 ans, il écrit des polars sur et àWashington, sa ville natale. Récemment conquis par l’atmosphère de la Nouvelle-Orléans, il a également élargi son champ de compétences en travaillant aux scénarii de The Wire, Treme et The Pacific, 3 séries phares et ultra réalistes de la chaîne américaine HBO. Retour sur un personnage fascinant, héraut moderne du réalisme noir et parangon sans égal de la critique sociale.
NB. Cette itw fera l’objet d’une publication en 5 parties, à raison d’un extrait par semaine.
Chaque extrait est accompagné d’une playlist musicale : pour cette première fois, la Soul est à l’honneur !
Qu’est-ce que vous avez fait à la Nouvelle-Orléans ?
J’étais scénariste et producteur sur la série Treme pour HBO. On a fini la 4e saison.
Pouvez-vous en dire un peu plus sur cette dernière saison ?
Ca va être une bonne conclusion pour la série. Je crois qu’on a fait un bon travail sur cette dernière saison. Mais en pratique, mon contrat m’interdit de vous en dire plus.
Dans votre nouveau livre The Cut (paru en français sous le titre “Une balade dans la nuit”, Calmann-Lévy), le héros, Spero Lucas, me rappelle beaucoup Nick Stefanos (personnage récurrent dans l’oeuvre de Pelecanos, NS est un Grec de Washington qui travaille parfois comme détective privé, ndlr). Etait-ce un moyen pour vous de revenir à vos racines ?
Je voulais que le personnage de Spero Lucas soit jeune, aussi jeune que Nick Stefanos. Ca faisait partie du projet. C’est sans doute du point de vue de leur âge que ces deux héros se ressemblent le plus. J’ai beaucoup écrit sur des personnages d’âge mûr, des personnes de mon âge en gros. Ici, je voulais que le héros soit incarné par quelqu’un de plus jeune.
Pouvez-vous brièvement le présenter ? C’est un enquêteur, un vétéran de la guerre en Irak…
Oui, c’était un Marine. Son père est mort pendant qu’il était au combat – absence qui le taraude. Il obtient un poste d’enquêteur auprès d’un procureur spécialiste des affaires criminelles à Washington.
C’est assez commun, à vrai dire, que d’anciens soldats soient embauchés par la justice à leur retour : ils n’ont pas peur d’aller dans les quartiers chauds et ils sont très attentifs à la mission. Durant la guerre, ils se levaient le matin avec un programme ; ils savaient exactement ce qu’ils avaient à faire. Ils ont donc hérité d’un sens aigu du devoir et respectent scrupuleusement la mission qui leur est confiée. Le fait est que lorsqu’ils rentrent à la maison, ils n’ont plus de mission, plus de but. Et, la plupart du temps, ils rechignent à aller travailler dans un bureau. Spero Lucas est de ceux-là : quand il rentre, il cherche de l’action.
C’était important pour vous de mobiliser un héros de série plutôt qu’un héros de roman ?
Pour faire mes recherches préliminaires, je suis allé à l’hôpital. J’ai parlé avec beaucoup de gens et récolté un maximum d’informations. Je n’en ai d’ailleurs utilisé qu’une partie.
La plupart des gens que j’ai rencontrés étaient détruits physiquement et psychologiquement par la guerre. Je voulais justement écrire sur un type qui aurait été bouleversé par cette expérience unique, et décrire son retour aux Etats-Unis. L’expérience de la guerre te bouleverse à tout jamais. J’en sais quelque chose, mon père était marine dans le Pacifique pendant la Seconde Guerre mondiale ; il a tué beaucoup de gens. Comment ne pas en être affecté toute sa vie ?
Lucas revient transformé de la guerre en Irak. Comme c’est un roman policier, le lecteur accepte sa violence et le fait qu’il fasse des choses que les gens normaux ne font pas. En fait, son expérience en Irak l’a formaté, il ne sait plus réagir autrement que par la violence. C’est quelqu’un qui a été bouleversé à jamais par la guerre.
Le personnage de Peter Karras (héros de « Un nommé Peter Karras publié en France en 2000 au Seuil / Points policier) était inspiré de votre père, non ?
Oui, exactement. A ceci près que lorsque mon père est rentré de la guerre, il s’est marié avec ma mère, a fondé une famille et travaillé dans un diner (petit restaurant) le restant de sa vie en faisant montre d’une vraie droiture morale. C’est là la grande différence entre mon père et Peter Karras. Quand Karras revient de la guerre, il ne peut plus être comme avant, mener une vie saine.
Mais la première partie du livre, The Big Blowdown, (titre original de « Un Nommé Peter Karras ») c’est vraiment l’histoire de mon père, de cet immigrant grec très pauvre qui débarqua en son temps à Chinatown.
C’est à cause lui que vous avez souhaité travailler pour la série The Pacific ?
Exactement, c’est vraiment la vie de mon père qui m’a donné envie de le faire. C’est la première fois de ma vie que j’ai demandé à mon agent de me mettre en contact avec des gens, en l’occurrence Tom Hanks et les autres personnes de l’équipe, pour me vendre et faire partie du show. J’étais un des 3 scénaristes de la série.
Vous vous considérez comme un romancier patriote ?
Hmm. J’étais contre la guerre en Irak et en Afghanistan. J’ai signé une pétition dans le New York Times avec beaucoup d’autres écrivains, pour dénoncer l’invasion en Irak et je continue d’être opposé à ces deux guerres. Ca ne fait pas de moi quelqu’un d’antipatriotique, je pense plutôt que ça fait de moi un grand patriote – parce que j’ai refusé de cautionner que mon pays entre en guerre sur la base d’un mensonge (existence prétendue d’armes de destructions massives en Irak, ndlr).
Pensez-vous que les dégâts infligés par l’armée américaine aux Irakiens ont tendance à occulter ceux subis par les soldats américains eux-mêmes ?
Oui, on ignore complètement ce qui leur est arrivé. Il faut bien voir d’où je viens. J’étais ado pendant la guerre au Vietnam – je n’y ai donc pas participé. Mais tous les soirs au journal, on entendait parler des cadavres qui rentraient au pays. Pendant la guerre en Irak, à l’inverse, rien n’a filtré. On a caché nos morts, de sorte que le public n’a jamais vu le coût humain de la guerre. Il n’y a guère qu’aux alentours des hôpitaux de Washington (j’habite là-bas à côté d’un hôpital) qu’on pouvait les croiser. D’une certaine manière, en masquant les dommages de la guerre aux Américains, les autorités leur ont empêché de se sentir impliqués, comme l’avaient été leurs aînés pendant la guerre du Pacifique.
C’est notamment la cause du mutisme de Lucas. Ils ne parlent de la guerre que dans des bars remplis de Marines.
Vos romans se déroulent souvent à Washington. En quoi cette ville continue-t-elle de vous inspirer ?
Avant de commencer à écrire The Cut, j’avais l’impression que personne n’avait réussi à écrire sur le vrai Washington. Il y a plein de romans politiques qui se passent au Pentagone ou dans d’autres institutions de ce genre. Mais ces histoires ne disent rien de la vie réelle des Washingtoniens. Quand j’étais petit, Washington était une ville majoritairement habitée par des Noirs (80%) ; maintenant, ils sont à peu près 50%. Ca a beaucoup changé.
J’essaie de montrer ces changements dans mes romans et laisser un témoignage physique, sociologique et historique de la ville. On voit par exemple dans The Cut que je parle beaucoup de gentrification (= embourgeoisement des quartiers populaires et relégation des plus démunis à leur périphérie, ndlr). L’ambiance y est très différente des romans sombres et urbains que j’ai écrit avant.
Je continuerai sans doute à écrire sur Washington jusqu’à la fin de ma vie, même si pour le moment je suis tombé amoureux de la Nouvelle-Orléans. D’ailleurs je vais probablement m’y installer la moitié de l’année. Lorsque je travaille pour la télévision ou le cinéma, je peux écrire d’à peu près n’importe où, mais dans mes romans j’écris sur et à Washington – « Chocolate City » comme on dit…
Suite de l’interview le mardi 28 mai, sur Novaplanet.
Interview : Reza Pounewatchy
Traduction : Quentin M