L’art contemporain africain existe. Il a même sa revue, interactive et gratuite
Afrikadaa est une revue indépendante dédiée à l’art contemporain africain. Fondée en 2012 par un collectif d’artistes, elle explore sans concession ni préjugé, le champ d’expressions plurielles qui se fait jour aux 4 coins du continent – et bien au-delà à travers les diasporas.
Y a-t-il une identité africaine ? N’est-ce pas plutôt une construction de l’esprit, un pot-pourri de croyances et de fantasmes totalement déconnectés de la réalité ? En quoi pourrait bien consister cette identité continentale ? Et que dire des identités transcontinentales, de l’identité afropéenne (afro-européenne) par exemple, sinon qu’elles restent à inventer ? Et l’art dans cette affaire, quelle est sa place, qu’a-t-il à dire sur l’identité ?
Pas mal de questions, donc. Sans compter toutes celles relatives à la revue elle-même… Des questions auxquelles Pascale Obolo, rédactrice en chef d’Afrikadaa, a accepté de répondre.
Comment est née Afrikadaa ?
Tout a commencé en 2011, lorsque nous avons formé le collectif Diasparis avec une quinzaine d’artistes issus de l’immigration – des “diasporas”. On a assez rapidement organisé une exposition d’art contemporain africain au Musée du Montparnasse. Plus tard dans l’année, l’exposition a rejoint le Quai Branly et connu un certain succès.
C’est là-bas que j’ai rencontré Carole Diop, architecte et bloggeuse (lire une interview d’elle sur Afrokanlife). Ensemble, nous avons décidé de prolonger l’expérience et de créer une revue d’art contemporain tournée vers l’Afrique et ses diasporas : Afrikadaa était née.
L’idée était de dialoguer avec les institutions du monde de l’art contemporain pour promouvoir des artistes africains et/ou d’origine africaine qu’on voit très peu dans les expositions en France. Globalement la France est en retard en la matière.
D’où vient ce nom “Afrikadaa” ?
C’est un acronyme, en partie : le « daa » final est la contraction de « Design, Art contemporain et Architecture ». Pour le début, je vous laisse deviner…
Combien de numéros ont déjà paru ?
4 numéros. Afrikadaa est une revue trimestrielle et thématique qui a un plus d’un an. Chaque numéro a son thème de prédilection : le premier par exemple, Birth, était lié à la naissance de la revue. Après on a fait un numéro sur le mouvement artistique noir-américain Black Renaissance – l’occasion de se demander si un tel courant a une chance de voir le jour en France. Le 3e numéro a pris à bras le corps la question de l’invisibilité dans la société.
Pour information, nous avons fêté le premier anniversaire de la revue le 14 mars dernier.
Joyeux anniversaire ! Vous avez organisé quelque chose pour fêter ça ?
Oui, on a organisé un acte éditorial live (retransmis sur internet) au Lavoir Moderne à Paris. On en avait déjà fait un à Bruxelles. D’autres évènements de ce genre devraient avoir lieu à Londres et à Abidjan. Pour la soirée au Lavoir, on avait sélectionné un certain nombre d’artistes ayant collaboré à la revue pendant l’année. On leur a demandé de faire des performances ou de projeter des vidéos.
Un style épuré et une plume avisée
Quel était le but de ce live ?
Il y en avait deux en fait. Premièrement, on voulait faire dialoguer un espace d’art avec la revue. L’enjeu principal était d’exposer in situ le contenu d’Afrikadaa, qui par définition est dématérialisé. Deuxièmement ça nous a permis de rencontrer les lecteurs de la revue et d’apprécier la diversité de notre public.
Qui sont vos lecteurs justement ?
Ce sont surtout des passionnés, des chercheurs, des curateurs ou de simples curieux qui s’intéressent à la mondialisation artistique. Nombre d’entre eux travaillent pour des institutions. Ils connaissent très mal cette scène. A l’étranger, le scène de l’art contemporain africain est vraiment en train d’émerger mais en France elle reste totalement embryonnaire. Il y a très peu de revues et de magazines d’art qui lui sont consacrés. Sans parler des musées qui font la part belle aux arts traditionnels (Quai Branly) mais qui occultent complètement les propositions contemporaines. A Londres ou à New York, d’Harlem à Brooklyn, les expositions pullulent ; mais en France allez trouver un lieu qui exposent des artistes contemporains africains.
Carole Diop (à gauche) & Pascale Obolo (à droite)
Vous êtes lus en Afrique ?
Oui, on est de plus en plus présents sur le continent. On était à la Biennale de Dakar l’année dernière. On y a fait une exposition d’artistes défendus par la revue. On collabore également avec la galerie Cécile Fakhoury à Abidjan, la galerie la plus grande de Côte d’Ivoire et l’une des plus grandes d’Afrique.
A ma connaissance, on est la seule revue francophone dédiée à l’art contemporain africain. Il en existe beaucoup en langue anglaise : les Sud-africains, les Nigérians, les diasporas installées à Londres et à new York…
Notre DA ? JayOne
Pourquoi avoir opté pour une revue numérique ?
Ca nous permet d’utiliser plusieurs media à la fois : textes, photos, mais aussi vidéos et musiques. On a d’ailleurs glissé une playlist à la fin de la revue, ce qu’on n’aurait pas pu faire avec une revue papier. Mais d’un point de vue plus pragmatique, ce choix a surtout été guidé par des considérations financières : on n’avait pas du tout d’argent mais beaucoup d’idées et de contenus ; et surtout une grande envie de parler de notre travail et de dialoguer avec des intellectuels, des historiens, des critiques d’art…
Mais rassurez-vous, une version papier devrait sortir l’année prochaine.
Vous n’avez pas peur de vous couper d’une partie de votre lectorat avec le papier ? Quid de vos lecteurs allemands, américains ou australiens ?
Les 2 seront complémentaires, j’espère. Ca devrait nous permettre de nous vourir au public français. C’est drôle quand même, très peu de gens nous connaissent à Paris – là où le collectif est installé – alors que nous avons des lecteurs de Sydney à Amsterdam en passant par New York ou Berlin.
Le graphisme de la revue est vraiment réussi. Comment avez-vous fait pour lui donner ce cachet alors que vous n’aviez pas un sous ?
On bosse avec un super directeur artistique : le street artist JayOne. Personnellement j’avais déjà travaillé avec lui dans les années 90 à Clam Mag. Il a fait un boulot génial sur la typographie de la revue. Un style épuré et une plume avisée, c’est ça Afrikadaa.
Le dernier numéro d’Afrikadaa est dédié à la question massive de l’identité. Quels éclairages l’art contemporain apporte-t-il aux problématiques identitaires ?
Le choix de cette thématique procède d’abord de nos propres interrogations au sein du collectif. Qu’est-ce que le collectif Afrikadaa entend par identité dans l’art ? C’est vraiment une réflexion liée au collectif. On voulait montrer que l’identité personnelle n’est pas quelque chose de figé, mais qu’elle est toujours en mouvement, qu’elle se modèle et se déconstruit sans cesse. L’identité se meut au fil de nos interactions avec le monde. Le lieu où l’on vit, le lieu où l’on crée… toutes ces influences environnementales participent d’une redéfinition constante et dialogique de notre identité. L’identité est protéiforme et dynamique. Il n’y a guère eu que feu les gouvernements Sarkozy pour réduire cette question de l’identité aux origines nationales ou “ethniques”.
Tous les intervenants de ce numéro se posent donc la question de l’identité ?
Oui, qu’ils soient artistes, historiens d’art ou écrivains, tous les rédacteurs de ce numéro montrent un vif intérêt pour cette question. C’est souvent lié à leur parcours ou à leur travail.
L’identité est protéiforme et dynamique
De quoi traite le prochain numéro (#5) ?
Je ne peux pas trop vous en dire pour l’instant. Il s’appellera Afrofuturisme et sera doté de 2 nouvelles rubriques. La playlist sera enrichie et intégralement dressée par un artiste. Par ailleurs, d’autres artistes développeront des approches conceptuelles mettant en résonnance des textes et des œuvres produites à partir de ces textes. Afrikadaa n’est pas qu’une succession d’articles et d’interviews ; nous souhaitons que les artistes se l’approprient et lui impriment leur marque. Tout un programme !
Photos en haut : une sculpture de l’artiste Ernest Dükü à découvrir dans la revue