Retour sur une critique littéraire au vitriol
Un pan entier de la littérature reste épargné du feu des critiques, dans une loi de l’omerta aussi nébuleuse qu’incompréhensible. Les immaculés « livres pour enfants ». Et vous allez voir que leur niveau rase les pâquerettes les plus atrophiées, bien plus que le style fort et enlevé d’un Florian Zeller ou de deux Marc Lévy.
Pour l’exemple, attaquons nous à un best-seller du genre : Marion et Simon les Chatons.
Ce roman d’aventures, peu ou prou dans la lignée du très prévisible Le coiffeur de Mireille l’Abeille (du même auteur que nous ne dénoncerons pas (son nom est visible sur la photo ci-dessus)), fait la part belle à la bêtise.
L’histoire, c’est celle de Marion et Simon, deux chatons, qui veulent s’amuser. Voilà, on s’accordera pour dire que le pitch de départ est tout pourri. Mais loin du critique littéraire chevronné les jugements à la va-vite. Creusons (ce qu’il reste à creuser).
Dès la première ligne, on suffoque d’incongruités: « Il était une fois, et ron et ron, deux petits patapons un peu fripons, un peu polissons […] Comme tous les chatons, ils étaient très mignons et très joueurs » [p 1].
Il faut analyser cet incipit dans l’ordre. Passons sur la banalité du Il était une fois, qui n’est là que pour se débarrasser de l’entendement et se trouver d’emblée une excuse féerique.
Arrêtons nous plutôt sur le « patapon » après la répétition insistante du « et ron et ron ». Ce barbarisme, croisé dans la comptine La Petite Bergère, est une onomatopée qui évoquerait « les mouvements souples et silencieux du chat » (le dictionnaire). De là à dire que la métonymie fonctionne. C’est comme si on appelait un cheval un « galop », ou un poisson « nage ». Ou un homme « marche ». Ou…C’est nul quoi.
Non, cette onomatopée de mouvement ne peut être utilisée qu’en métaphore, comme chez Proust : « Alors la pluie se mettra à tomber tout à petit patapon, sans discontinuer » (Du côté de chez Swann, p.165). Ça c’est la classe.
On apprend aussi dans ce prologue que Marion et Simon les petits chatons sont « fripons » et « polissons ».
Fripon : « Personne malhonnête, fourbe, qui vole autrui par ruse, quelquefois portée à des attitudes ou des propos grivois ».
Polisson : « Individu capable d’actions répréhensibles; homme dénué de sens moral. » Et la phrase d’après, dans une généralité ridicule, d’opposer un « très mignons ».
On a donc un narrateur externe qui nous explique qu’on a affaire à une pute et un voleur, mais « très mignons ». Deux chatons bipolaires, immoraux mais adorables, peut être les pires personnages principaux de l’histoire. De l’Histoire en général, pas de cette histoire-là.
La page d’après, sans autre forme d’explication, Simon et Marion les schizos sont en train de prendre le thé avec Lorette la Pâquerette. Comme par hasard, ça rime.
Lorette, avec ses considérations de bourgeoise, leur demande s’ils veulent « un peu de lait dans le thé ? ». C’est des chats, crétine. Les chatons n’hésitent d’ailleurs pas à souligner que Lorette est amputée de tout sens analytique : « Beaucoup de lait et pas de thé ». Et tac.
« Une autre abeille, pas celle qui pique, mais Mireille. Mireille au grand cœur qui aimait les chatons autant que les fleurs » [p 5]. Et voilà nos deux héros lancés à la poursuite d’un nouveau personnage, Mireille, une abeille bisexuelle, qui butine de tout : des « chatons » comme des « fleurs ». Tu parles d’une image.
Mireille rompt d’ailleurs définitivement le charme potentiel de cette odyssée bucolique la page d’après : « Ce jour-là les minous se laissèrent caresser par Mireille ». Carrément obscène.
Une antanaclase affligeante appuie cet érotisme déplacé signé chez Gallimard Jeunesse : « Ronron, firent les chatons en faisant le dos rond ».
L’élément perturbateur arrive la page d’après, et avec lui le propos véritable du roman. Benjamin le Lutin, en pleine possession des moyens, débarque chez Mireille comme un fondamentaliste en accusant ex nihilo les petits chats de tout saccager, d’être libertins et de chasser les oiseaux du jardin (l’histoire se passe dans un jardin, grossière allégorie du monde perverti).
Simon le pti chaton, est bien sûr juif par son nom. Marion, prénom rural, version ancienne de Marie, incarne elle le catholicisme. Et ce gros barbu de Benjamin, instaurateur du climat de méfiance ? oui, c’est la figure caricaturale de l’imam intégriste, cristallisée l’air de rien sous la plume islamophobe de l’auteur.
Par une pirouette d’écrivailleur, l’auteur nous signale qu’en plus, Benjamin est allergique aux chats. C’est le bouquet. Il n’y a qu’à regarder les dessins illustrant le texte (comme si on était trop débile pour comprendre l’histoire sans image). Avec l’emphase du racisme, ces suggestions de présentation ajoutent de l’innocence aux chatons et aggravent le ridicule de Benjamin le musulman.
Mireille tente d’arrondir les angles [p 11] « Ils ne feraient pas de mal à une mouche. » La riposte de Benjamin témoigne de l’incohérence du récit : « Alors pourquoi ont-ils détruit la toile que Chloé l’araignée venait de tisser ? », quand tout le monde sait que les toiles d’araignées sont dangereuses pour les mouches.
Et ça sort d’où que les minous ont détruit la toile ? On a pas lu, ça. L’analepse kafkaïenne est antagonique avec le temps du récit. Chloé aurait eu tout le loisir de refaire sa toile depuis le début de la balade de Simon et Marion. À moins que cette collabo de Chloé ait eu le toupet d’attendre Benjamin pour les dénoncer.
Bon, faut pas dévoiler toute l’histoire non plus, mais sachez que la haine comme le ridicule atteindront des sommets dans l’arbre du jardin [p 15]..
On reconnaîtra aussi des personnages bien connus des amateurs déficients de l’auteur : Blaise et Thérèse les punaises, Prosper le Hamster ou encore Valérie la Chauve-souris, autant de preuves d’une épargne d’imagination.
Le reste du récit réserve aussi quelques surprises syntaxiques, des merveilles de dialogues soignés comme :
– « Oh là là !
– Quelqu’un est coincé ?
– Oh là là ! Oh là là !
Oh là là ! Oh là là ! À son tour il cria…aïe ouille, aïe ouille… »
Ce livre comme tous les livres pour enfants est une honte. Et personne n’ose le dire.
Comment voulez-vous instruire, purifier et sécuriser une génération en les abrutissant et en les pervertissant avec ces torchons illustrés, ou avec des chansons sur une souris verte qui, c’est bien connu (ces messieurs vous le diront), fera un escargot tout chaud une fois trempé dans l’huile et dans l’eau. N’importe quoi. La comptine de déséquilibré.
Chers parents, il faut mettre la pression sur le gamin dès son entrée en maternelle avec l’étude des œuvres les plus antisémites de Céline pour développer le sens critique de l’enfant et arrêter de lui laver le cerveau en inventant des chimères.
Et ron et ron patapon.