Découvrez la peinture silencieuse de Georges Braque au Grand Palais.
Tout le monde croit connaître Braque, inventeur du cubisme, puis des collages, peintre de l’harmonie moderne, des formes nouvelles, des guitares aux oiseaux stylisés. Pourtant les trouvailles successives de cet artisan profond, de ce moine soldat de la plastique, ne sont pas clairement enregistrées à cause de la profusion d’art et d’écoles de la période de 1900 à 1945, qu’on appelle Art Moderne, dans laquelle il fut emporté.
Les fauvistes, cubistes, futuristes, dadaïstes, suprématistes, orphistes, constructivistes, puis surréalistes ont fait exploser l’esthétique, et bouleversé tous les codes visuels, pendant ces décennies agitées ou l’Art était au pinacle. Les peintres étaient des stars mondiales (comme ensuite les acteurs puis les chanteurs), et influençaient TOUT : la déco, le design, la mode, l’architecture…
Georges Braque, fils d’un peintre en bâtiment du Havre, va tenter de gravir un échelon en faisant les Beaux Arts. Mais il n’aime pas l’académie et il devient vite un peintre fauve, comme ses maîtres Derain, Matisse…
Très vite, il comprend qu’avant de poser ces couleurs, il faudrait se poser la question des formes, des lignes, du dessin. Comment représenter les choses autrement que par les conventions classiques de l’imitation ? Il repart de Cézanne, « celui qui a réinventé la lumière », les vibrations et les touches si particulières, comme des mosaïques dues à une diffraction lumineuse sur la surface des choses : et ses nus, ses paysages ou ses objets s’effacent derrière cette vision, cette traduction.
Justement Braque veut comprendre et traduire, et croit fortement aux messages des maîtres. Il fera un nu, puis une série de maisons, et très vite il peint avec des surfaces, des plans. Un critique dira « des petits cubes », puis parlera de cubisme comme une plaisanterie. Et ce vers 1907-1908 !!!
Mais Braque insiste, et finit même par tout peindre avec des tas de surfaces entremêlées, presque sans couleur. Du gris, de l’ocre, du noir et du blanc, juste pour marquer les plans et les ombres. Très connus, ces grands tableaux ressemblent à des verres et des assiettes cassées. La toile est comme recouverte de débris, de morceaux juxtaposés de tous ces triangles, carrés, cylindres, avec des ombres pour donner le volume. On n’y voit plus rien, ou presque.
Scandale, mais révolution. De sensible, la peinture devient INTELLECTUELLE. Nouvelle technique, nouveaux principes, nouvelle vision du monde? Plus rigide, plus mécaniste, plus pensée ? Cette rupture mystérieuse est-elle artificielle?
Plus tard, après la guerre de 14 qui a tout bloqué et où il a été blessé, Braque répondra aux journalistes: « le cubisme, je ne sais pas ce que c’est. »
Partout dans le monde de l’art, cette vision géométrique est présente : au Bauhaus, l’école allemande qui lancera Kandinsky, chez les Russes constructivistes avec Malevitch, et chez les futuristes italiens qui décomposent également les objets et mouvements en surfaces – de manière stroboscopique !
Picasso comprend la révolution et se jette sur Braque au point de faire les MEMES toiles, les mêmes collages. Car Braque a trouvé une nouvelle idée : il intégrera des bouts de papier collés, des journaux posés au milieu des compositions cubistes… C’est un contre-feu, parce qu’il craint que le cubisme n’entraîne tout le monde vers l’abstrait, lui qui est attaché à la représentation du RÉEL.
(Il nous signale que quand il met un journal, des titres avec des lettres, un bout de guitare ou une pipe, c’est pour rappeler qu’il dessine la RÉALITÉ CONCRÈTE et pas une marqueterie imaginée. Comme le feront Mondrian et les abstraits…)
Le cubisme en a fait une gloire mondiale, on l’appelle « le patron », comme Molière pour le théâtre. Mais il déteste les règles, les lois du cubisme devenu classique, à la mode et recopié dans tout : tissus, imprimés, panneaux décoratifs et mobilier.
Vers 1920, il réalise une première rupture avec des nus, qu’il appelle canéphores, en hommage à l’antique. On l’accuse de trahison, les modernistes ne supportent pas que justement lui, le révolutionnaire, le visionnaire, se recommande des classiques, des anciens !
Mais Braque est un calme. Il continue de chercher des idées et ses natures mortes où les objets s’entremêlent et changent de forme sont des réussites, à nouveau reconnues. Les toiles sont superbes, équilibrées, statiques et fortes : elles s’imposent par leur composition et toutes les trouvailles de dessin.
Et pourtant sa palette est triste, sans effet de couleur gratuit. Braque peint sur fond noir ! Beaucoup d’ocre, de gris, de verts et bruns, des tons froids à force d’être sourds. Mais il invente des parties en négatif, fond noir avec traits blancs, qui seront très copiés, et aussi des séries de gravures « fil de fer », un peu comme Calder puis Miro : des personnages en entrelacs de lignes fluides et magnifiquement dessinées d’un trait continu !
On pourrait continuer avec ses vases, ses oiseaux lyres et ses statues de chevaux, comme sorties de la Grèce archaïque ou de la méditerranée antique. Il n’a cessé de trouver des idées, des formes, des graphismes.
Tout ça dans son coin, loin des médias, des salons, des coteries et « people » naissants ( comme Picasso, Dali etc..) Braque nous a légué un nouveau vocabulaire de formes, qui au départ n’appartient qu’à lui, et qui finit en patrimoine pour nous tous. Et comme tous les chef-d’œuvres, mystérieux et difficiles à définir. Loin du star-system, un cadeau inappréciable et durable.
« Braque » aux Galeries nationales du Grand Palais. Du 18 Septembre 2013 au 6 janvier 2014.