Pureté du western social argentin raconté par Miguel Angel Molfino
« J’ai cherché de l’uranium, des rubis, de l’or. Et en chemin j’en ai observé d’autres, en quête eux aussi. Ecoute, Florie, j’en ai rencontré, des monstres à l’état pur ! »
Truman Capote, Prières excaucées. (et épigraphe du roman)
La semaine dernière est sorti enfin en français chez Ombres Noires, un roman de 2010 à côté duquel on se saurait passer : Monstres à l’état pur de l’auteur Argentin Miguel Angel Molfino.
Un village désolé, le marécage de la mort de son petit nom, un double meurtre, un ado sujet aux crises de dédoublement, un indien muet, des flics corrompus, une falcon noire à un phare conduite par un lonesome criminel terrible et jovial, et le ciel changeant et inexorable de L’Argentine.
Il y a du western dans ce road movie qui, par touches, suggère le « Processus de réorganisation nationale » soit la dictature militaire violente qui sévit de 76 à 83. Cette même dictature qui coutera la vie à la famille de Miguel Angel Molfino et l’enverra croupir dans les geôles des généraux.
Une évocation par touches seulement, une imprécision temporelle volontaire ajoutant à l’atmosphère d’un conte bien trop réaliste, où dans un paysage à la beauté dangereuse, les monstres ont rampé hors du placard et se baladent tranquillement au dehors.
Qu’ils portent des flingues, des badges de police ou des habits d’enfant, tous incarnent un mal qu’on dirait puisé à même la terre; des chiens qui attendent à la porte des enfers.
Sublime et implacable, la prose de Miguel Angel Molfino se fait alligator, parole d’un monde assoupi, immobile, éternel mais qui d’un coup de dent imprévisible arrache l’humanité des êtres qui l’habitent, laissant les âmes ensanglantées se réfugier sous la violence la plus proche. L’assassin, le criminel, en est sublimé, un paradigme du mal qui, quand il est absolu, en appelle à la sainteté. Le titre original parle lui de perfection : Monstruos Perfectos.
Aussi incongru que ça paraisse, Miguel Angel Molfino est un spécialiste reconnu des haïkus, poésie japonaise elliptique, brève mais essentielle. Son écriture en garde une remarquable texture où le vocabulaire délaisse la précision au profit de l’impression, de la matière, un texte qui se sent, se touche, se goute, se voit, s’entend et se rappelle, les atrocités commises dans l’indifférence générale et la littérature polar seventies argentine qui faisait résistance
Un premier roman bluffant, et une première page comme il est rare d’en lire, une première page qui met en place ce réalisme magique et que je vous offre juste au dessous de la marquante tête de son auteur.
Monstres à l’état pur, Miguel Angel Molfino, Ombres Noires, 20 euros, 278 pages, 2013.
« Qui a voyagé un jour de Puerto Barranqueras à Noguera est forcément passé par Estero del Muerto, un lieu solitaire entouré de chaudes plaines cotonnières. Bordé d’arbres aux branches spectaculaires, de palmiers couleur cuivre et d’arbustes, Estero del Muerto, vu de la route goudronnée, offre l’image d’une étrange et paisible beauté. Il y règne une atmosphère de simplicité, l’air est à peine traversé par des hommes et des femmes suivis d’ombres aux contours nets et durs. Le regard porte au loin, très loin, donnant la sensation d’un irréparable infini. Tout semble dormir sous le soleil : village, champs, animaux, rictus desséché des arbustes, brise léthargique en suspension. Quand vient le temps des récoltes, les champs de couleur blanche sont assaillis par des échines éparses, courbées, qui, telles les carapaces d’énormes insectes, fendent les vagues du coton décoré par cet infatiguable fléau. »
A suivre…