Quand son « L’âme humaine sous le socialisme » déchire le prêt-à-penser.
« On avait jadis fondé de grandes esperances sur la démocratie, mais le mot de démocratie signifie simplement que le peuple régit le peuple à coups de triques dans l’intérêt du peuple. »
Ca c’est dit.
On décontracte les cases de la réflexion politique, comme on desserrerait sa cravate ou son noeud-papillon, on détend sa pensée de la société avec élégance, on respire mieux, les écrits politiques d’Oscar Wilde soignent l’asthme de l’intellect. Les Editions de l’Herne dans la collection des Carnets, offrent, et c’est le mot, « L’âme humaine sous le socialisme ». Un petit essai en 2 parties écrit par ce cher Oscar en 1891, année qui verra également naitre son fameux Portrait de Dorian Gray.
Dans quelques 90 pages, voilà que la figure même du dandy prône un communisme qui serait, contrairement à celui que l’on connaît, la condition même de l’individualisme absolu. Ce détachement des biens et des autres s’avérant nécessaire à la production de choses belles, nécessaire à la réalisation de l’humain, il devient inhérent à l’existence même de l’Art. On voit donc Oscar développer l’Utopie, non comme illusion mais comme essentielle à l’idée même de progrès, et ça soulage en des temps où elle est perçue au mieux comme fantasme au pire comme puérile et dangereuse lubie.
« Est-ce de L’Utopie, cela ? Une carte du monde où l’Utopie ne serait pas marquée ne vaudrait pas la peine d’être regardée, car il y manquerait le pays où l’Humanité atterrit chaque jour. Et quand l’Humanité y a débarqué, elle regarde au loin, elle aperçoit une terre plus belle, et elle remet à la voile. Progresser, c’est réaliser des Utopies. »
Fidèle à lui-même, mister Wilde envisage un communisme caractérisé à long terme par une disparition de l’autorité qui dégrade celui qui l’exerce comme celui qui la subit.
Sa politique une fois exposée, la pensée se resserre autour de la figure de l’artiste et de son exclusion. Une individualité trop clairement exprimée dans son indépendance en serait la raison. L’artiste, nous dit-il, est une figure dégagée de la responsabilité de plaire à ses semblables, de la nécessité de se soucier de leurs besoins sous peine de devenir un amuseur ou un commerçant. Ils fichent la trouille en somme les artistes.
« L’artiste seul est exempt de la nécessité de s’occuper de ses voisins. (…) Et il faut noter ceci : le fait que l’art est cette forme intense de l’individualisme est justement ce qui incite le public à vouloir lui imposer une autorité aussi immorale que ridicule, aussi corruptrice que méprisable. Et ce n’est pas tout à fait sa faute. Le public a toujours, et dans tous les siècles, été mal éduqué. Il demande constamment à l’art d’être populaire, de flatter son manque de goût, d’aduler son absurde vanité, de lui dire ce qui lui a déjà été dit , de lui montrer ce qu’il devrait être las de voir, de l’amuser quand il se sent alourdi par un trop copieux repas, de lui distraire l’esprit quand il est accablé par sa propre stupidité.
Or l’art ne doit jamais chercher à être populaire. C’est au public lui-même à tâcher de se rendre artistique. »
La modernité remarquable de cet essai est bluffante, notamment sur la question du criminel et du châtiment qui lui est réservé. Le ton quant à lui, est celui d’Oscar Wilde, toujours drôle souvent provocant, politiquement incorrect mais sans jamais rechercher le décalage, naturel essentiel à son efficacité. Il peut choquer parfois, mais il serait idiot de s’en formaliser, tant le fond n’est autre qu’un surprenant et absolu espoir en les possibles de l’être humain.
On peut, bien sûr, ne pas être d’accord, émettre des réserves, taxer même d’irréalisme, mais il s’agira de ne pas oublier cette même individualité de l’artiste dont Oscar Wilde fait l’éloge et qui assure une singularité de sa pensée politique. Quoi qu’il vous en gratte, la lecture cette « âme humaine sous le socialisme » laisse la vôtre éclairée, au prix de l’électricité, ça ne se refuse pas.
Oscar Wilde, L’Ame Humaine sous le socialisme, Les éditions de L’Herne, Carnets, 103 pages, 7,50€
Et puis ça m’a permis de découvrir ceci, qui est, en soit et pour soit, un joyau…
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