Et si l’art urbain était plus traditionnel qu’il n’y paraît ?
Lorsque l’on se renseigne sur le street art – en se baladant sur Wikipedia par exemple – on peut lire que la généalogie de l’art urbain est complexe. Complexe certes, mais quand même de prime abord, on a envie de penser que c’est un mouvement artistique nouveau, inédit, qu’il est un déplacement des codes artistiques classiques, un renouvellement des techniques. On pense en général au street art comme à un art rebelle – ne serait-ce que parce qu’il est illégal, souvent anonyme, éphémère.
Richard Hambleton, début des années 1980
Et si on continue dans cette perspective – on peut attribuer au street art une date de naissance.
Né dans les années 1960/70 grâce à une série d’artistes underground qui font de la rue et de la ville des espaces de jeux, il devient un art autonome dans les années 1980. Les murs des rues de Paris se couvrent des pochoirs et des œuvres de Blek le Rat, de Jérome Mesnager, Miss Tik, ou Jef Aérosol. Dans le reste du monde, la fin des années 90 voit émerger des artistes phares comme Shepart Fairey, Banksy ou Blu.
Jérôme Mesnager
Alors oui, dans cette perspective le street art est un art jeune – mais est-il pour autant résolument moderne ? C’est-à-dire que quand on pousse les recherches, et c’est de cette complexité là dont parle Wikipedia, l’art urbain est peut-être plus traditionnel qu’il n’y paraît.
De façon évidente, on peut dire cela en vertu de ses références. Car si le street art a le goût du détournement des codes, les artistes se servent souvent des œuvres classiques les plus connues.
Combien de fois La Joconde a-t-elle servie de modèle ? Il y avait d’ailleurs une exposition au Studio 55 consacrée à toutes les œuvres qui revisitent la Joconde – de celle de Banksy munie d’un AK 47 à celle de André, dont le visage est recouvert du fameux personnage Monsieur A., en passant par la Mona Lisa Klaxon de Jef Aerosol.
La Mona Lisa de Jean-Michel Basquiat
Et on peut citer des œuvres, des saucissons de l’art qui servent non seulement de modèles, mais qui en plus sont actualisées par l’art contemporain. Du coup on se demande s’il y a vraiment rupture, dès lors que les street artistes continuent de s’inspirer de la tradition artistique et la prolongent d’une certaine manière.
Et puis soyons honnêtes, on n’a pas attendu les années 80 pour couvrir les murs de graffiti. Le terme même de graffiti a été crée pour qualifier les inscriptions et peintures murales découvertes pendant les fouilles de Pompéi. Alors avant le vandalisme du graff il y avait Pompéi. Et avant Pompéi, il y avait Lascaux.
Cela peut paraître grossier de créer un pont entre l’art rupestre et le street art et pourtant, les techniques mêmes n’ont pas tellement évolué. Les pochoirs par exemple seraient inspirés des techniques ancestrales.
En parlant de technique, l’artiste Vhils est aujourd’hui un des créateurs les plus innovants. Avec son marteau piqueur, il sculpte les murs et crée des portraits tout en relief. Innovant certes, mais finalement très classique, car ses œuvres sont à proprement parler des bas reliefs !
Et on a beau penser que le street art est contestataire, force est de constater que le propos-même du street art peut être tout à fait compatible avec la tradition : de l’illustration par Keith Harring des 10 commandements (exposés l’an dernier au 104) à l’artiste C215 qui s’est chargé de réaliser, pour la Chapelle de la Pitié Salpêtrière, des vitraux qui revisitent l’iconographie catholique : street Art et art sacré peuvent avancer main dans la main.
Du coup quand on s’interroge sur le lien entre street art et tradition, on se rend compte que tant d’un point de vue formel que dans les messages, le propos et les interrogations derrière l’art, le street art s’inscrit profondément dans une tradition artistique. Et d’ailleurs certains considèrent que l’entrée du street art sur la marché de l’art, dans les galeries, chez les collectionneurs non seulement dénature l’art urbain mais en plus crée une sorte d’académisme.
Et on se retrouve plongés dans un débat extrêmement classique : à savoir l’art qui est académique ou qui est institutionnalisé est-il encore libre et fécond ?