Quand les photoreporters ont mis la vérité toute nue, le monde a rougi.
Alors que commence ce week-end à Saint Brieuc la 2nd édition du festival photoreporter qui se déroulera jusqu’au 11 novembre, la symbolique se régale, j’en profite pour caser un livre de photo qui me tient particulièrement à cœur : Vietnam the Real War d’Associated press.
On remet vaguement le contexte, histoire de le reconnaître. En 1954, Les accords de Genève mettent fin à l’Indochine française et laissent le Vietnam divisé en deux États : le Vietnam Nord, qui est le fief du vainqueur Ho Chi Minh, leader des Viet Minh, et le Vietnam Sud, qui attend le déroulement d’élections démocratiques. C’était sans compter sur l’intervention des Américains qui déclenchent dès cette même année 1954 la guerre du Vietnam. Chassé-croisé colonial en Asie du Est.
Qu’est ce qu’ils fichent là les américains ? On pourrait se poser la question, d’ailleurs on la pose. Ils ont tout simplement entamé leur chasse aux sorcières, aux rouges, et devant la menace communiste que représentent les soutiens de la Chine de Mao et le Viet Minh, les voilà qui apportent leur aide aux Français dès la fin des années 40.
Les Français partent mais les Amériques restent à Saïgon, ville devenue QG des armées sud-Vietnamiennes. Et hop, c’est parti pour une interminable boucherie de 54 à 75 environ, plus de 20 ans d’un conflit à l’origine illégitime qui ne commencera à susciter l’indignation universelle qu’on connait qu’à partir de 1965. Il a fallu attendre les premiers clichés du front offerts par les photoreporters partis sur le terrain.
On en vient au cœur du sujet, un magnifique livre de photos édité par Abrams, Vietnam the real War, une histoire photographique par the Associated Press.
Tout est dans le titre, ça simplifie le boulot.
Le photographe Robert Capa, lui-même décédé appareil en main durant la guerre d’Indochine en 54 et dont on a fêté le centenaire le 22 octobre, déclarait « si vos photos ne sont pas assez bonnes, vous n’êtes pas assez près. » Des dizaines et des dizaines de reporters internationaux marchent alors sur ses pas et sa devise. On les retrouve au plus proche du conflit, alors qu’ils balancent, sans aucun filtre, ces photos éblouissantes de violence et de beauté, à un Occident encore vierge d’images chocs.
Ce sont ces photos qui déclenchent les défilés de New-York en 67, et inspirent les actions plus radicales : les étudiants tombent sous les balles des forces de l’ordre et, sous les yeux horrifiés de l’Amérique, d’autres s’immolent en signe de protestation.
Au sein de ces photo-gifles, on reconnaît le très fameux de Nick Ut, prix Pulitzer en 73, une petite fille nue sur la route, fuit le napalm. Elle n’est qu’une parmi une quantité impressionnante de clichés qui couvrent aussi bien les conflits, l’atrocité des tortures, les interrogatoires musclés, que les conditions de vie des vietnamiens. Parfois, et c’est peut-être le pire, les objectifs détachent un quotidien marqué par la folie de l’indifférence, l’indifférence absolue de soldat perchés sur un tank devant la douleur immobile, tétanisée, d’un père tenant dans ses bras le corps sans vie de son petit garçon.
Telle est la photo de Horst Faas également prix Pulitzer en 76.
Ces images qui traversent les océans n’oublient pas les esprits et les corps détruits des soldats et des vétérans. On découvre par exemple ces addicts à l’héroïne, parqués dans des baraquements sinistres en guise de désintox et immortalisés par Neal Ulevich.
Depuis quelques années, Associated Press réunit ces clichés, pour rendre hommage à la vérité d’une guerre que le cinéma a trop souvent édulcorée. Même dans des films réputés « durs » comme Full Metal Jacket, on est loin d’une glaçante réalité qui ressort parfaitement sur papier glacé.
Détour du côté des romans. Eux aussi portent cette charge qui déchirent en lambeaux les voiles patriotiques. On pense en particulier aux oeuvres soumises à la censure comme Sympathie for the Devil de Kent Anderson et le bouleversant The Short-Timers de Gustav Hasford, adapté en toute illégalité par Kubrick. (Une histoire qu’on vous racontera sur Nova)
Vietnam, The Real War, rend aussi hommage à ces photographes (dont une bonne partie a perdu la vie sur le terrain), à travers la plume de l’écrivain-journaliste Pete Hamill. Lui-même un temps correspondant de guerre au Vietnam, il déroule en guise de préface, un récit puissant, aux chapitres chronologiques calqués sur les parties du bouquin.
Entrecoupé de textes et de document d’archives, Vietnam The Real War, permet de mieux comprendre un conflit fondateur, l’origine d’une rébellion mondiale, et surtout la valeur et le pouvoir d’une image lorsqu’elle n’est pas banalisée dans sa profusion et doutée dans son authenticité.
Bel hommage à une profession belle et douloureuse.
Pour le moment c’est en anglais ou en américain comme on préfère et on commande sur abrambooks.com – rubrique art.
Vietnam, The Real War. A Photographic history by the Associated Press. Introduction by Pete Hamill, Abrams ed., 300 pages, 40$ ou 25£.
Post Chroniqum : J’étais au Vietnam cet été, et, comme tout un touriste, j’ai visité le redoutable musée des vestiges de guerre à Ho Chi Minh, ex-Saïgon. Aux côtés de l’expo consacrée justement à ces photographies de guerre, une galerie grand format des déformations est jetée au visage et aux représentations préconçues des visiteurs : malformations, mutations, monstruosités causées par les bombardements de gaz orange se donnent à voir en pleine lumière. Le Vietnam rappelle ainsi qu’il est un pays bousillé sur deux ou trois générations, un pays qui n’a jamais reçu l’indemnisation que les USA avaient pourtant été condamnés à payer. Après un procès interminable et impossible, le Vietnam, optimisme du désespoir, tente encore et toujours d’obtenir juste réparation en attaquant désormais les fabriquants américains du gaz orange, bien au fait de la toxicité de ce dernier pour les populations exposées. Le gaz orange, mes amis, c’est Monsanto, bénéfice net de cette année 1 milliard de dollars, à vot’ bon boycott…
La petite anecdote d’un conflit resté béant.