Au Pôle Nord, le réchauffement climatique touche aussi les âmes.
Bienvenue à Hammerfest, coin de Norvège plongé chaque année pendant une poignée de mois dans l’obscurité de l’hiver polaire. Un terrain propice à l’épanouissement du cinéma de Matthias Glasner.
Peu connu en France, ce réalisateur allemand pratique l’électrochoc, pour se situer dans une drôle de zone franche, à mi-chemin entre les chroniques de moeurs crues et dérangeantes d’un Ulrich Seidl ( La trilogie Paradis, Import/export…) et le hiératisme d’un Michael Haneke.
Glasner y ajoute un goût pour les sujets hyper casse-gueule (la relation amoureuse entre un violeur et une de ses victimes suicidaires dans Le libre arbitre, un pédophile qui tente de sauver une gamine d’un réseau de traite des corps dans This is love) et pourtant au fond un seul et unique sujet : l’amour, quelles que soient ses formes.
Autant dire que de prime abord, le scénario de La grâce ne sent donc pas la comédie triviale : un couple allemand, Maria et Niels, espère qu’en allant s’installer à Hammerfest, où lui a trouvé un job dans une entreprise de forage, ils trouveront un second souffle. Maria a le sien coupé net, lorsqu’elle tue accidentellement une jeune fille du coin. Il n’y a pas de témoins si ce n’est sa conscience qui va commencer à la ronger à coups de remords grandissants.
Il n’est pas anodin que Glasner ait choisi de faire se dérouler cette histoire dans cette région proche du Pôle nord: La Grâce est à la fois un récit de glaciation des sentiments et de chemin vers la lumière. Il y a ici une idée de confrontation entre une nature hostile, un territoire où tout doit se gagner et une autre nature, humaine, parfois aussi aride. Mais aussi un rapport à ce qui est primitif, brut, à dompter ou à conquérir.
Maria et Niels ne vont pas être épargnés par les tourments, mais, surprise : Glasner, les tire vers le haut, même si c’est d’une manière paradoxale. Le drame qu’ils ont provoqué va les rapprocher, renforcer, ressouder leur amour. De même que la météo du film glisse doucement du froid réfrigérant à un début de chaleur – ne pas se leurrer non plus, Glasner, n’est pas du genre à se laisser aller au happy end- La grâce tend vers un apaisement possible, une réconciliation.
Cette éclaircie a pourtant un impact énorme, car pour en arriver là, il aura fallu être mis à mal, accepter en tant que spectateur, que la part sombre, peu glorieuse de l’espèce humaine puisse être la matrice d’un embryon de bonheur.
Dans une certaine mesure, Glasner se rapprocherait même de Lars Von Trier, période Breaking the waves, tant par les secousses émotionnelles qu’il déclenche, ou d’envoyer bouler toute idée de morale catho. Il n’est jamais question d’absolution dans La grâce, mais de comment des personnes ordinaires, dépassées par une situation extraordinaire, essayent et arrivent à trouver le pardon. Une sorte d’épiphanie qui se passerait de la bénédiction du bon Dieu mais pas des épreuves pour y arriver.
En décalant son point de vue habituel, de la provocation vers un regard plus miséricordieux, presque compassionnel, La Grâce hisse tout autant le travail de Glasner, vers de nouvelles audaces, entre autres celle de faire, dans une époque où tout est prétexte à l’ironie, à la distanciation, un film qui ait foi dans la chaleur humaine, jusqu’à devenir, effectivement gracieux.
En salles le 6 novembre.