Découvrez l’oeuvre et le parcours de Vallotton, peintre inclassable.
On peut tout de suite se poser la question : pourquoi un peintre suisse très 19e siècle, qui fait en apparence des toiles néo-bourgeoises pour salle à manger Louis-Philippe ou salon de maison close, pourrait-il intéresser le 21eme siècle ?
Et c’est là toute la bizarrerie de cette exposition-rétrospective d’un demi inconnu, Felix Vallotton, enfermé dans des collections de familles helvètes, qui par ses incongruités nous force à y regarder de plus près, une deuxième fois.
Car si ses couleurs sont presque des à-plats un peu ternes, ses nus des statues de cire dans les beiges et gris, son dessin est précis et sans concession et ses cadrages carrément modernes.
Il a bien vu les impressionnistes, mais il fait le contraire. Comme Bonnard et Vuillard il peint des intérieurs, mais au lieu de faire vibrer chaleur et couleur, Vallotton ternit tout, pose des personnages hors cadre ou de dos, ou de loin… dans des couloirs et autres enfilades qui paraissent des erreurs !
Il a été un peu de l’école Nabis-symboliste, mais lui est sans pitié : les femmes ont des bourrelets, des avachissements, des couleurs de cadavres ! Ces modèles nus s’ennuient ou sont de cire …
De lui on parle de sarcasme, de funèbre, de violence froide, de refoulement et de mensonge bourgeois, d’enfermement et de parfum d’étron !! Ca ne rigole pas, tout ça cache une attaque voilée.
Sa réputation vient de gravures sur bois (xylographies), de scènes de rues et d’intérieur belles et fortes, composées comme des estampes japonaises, essentielles et cadrées, ou le noir et blanc se suffit à lui-même et le dessin fort et juste.
Mais là, Vallotton avoue se critique, son regard cruel ou social.
Est il cynique ? Il épouse Gabrielle Bernheim, une veuve avec trois enfants, mais fille d’une des plus grande galeries ! Libre et tranquille, il réalisera plus de 1500 œuvres.
Parfois ses paysages ont la tranquillité molle d’Edward Hopper. Rien qui accroche. Ni dérangeant, ni surprenant, sauf parfois un personnage minuscule ou vu de haut.
L’explication est qu’il travaillait d’après des photos qu’il faisait.
Mais surtout, Felix Vallotton (un nom de théâtre de Labiche) peint un peu de tout, change de sujet, de style, de cadre, de matière, de manière…Il est partout et nulle part, inclassable, totalement étranger et indifférent aux avant-gardes qui explosent autour de lui..
Cubisme, dadaïsme dans les années 1910, on dirait qu’il n’en connaît rien. Il meurt fin 1925 mais comme Marcel Proust, il a vécu dans un autre monde, celui du 19eme siècle, des crinolines, des théâtres, des bourgeois engoncés, des intérieurs confinés, de l’académisme.
Seule la guerre 14-18 lui inspire des vues de champs de bataille, théâtrales comme des couchers de soleil, des compositions avec des flammes, des volutes de fumées et des éclairs presque artificiels.
N’appartenant à aucune école, aucun courant, aucune tendance définie, il se ballade en peinture comme un curieux, un collectionneur d’images.
On pense à Degas, Manet, Maurice Denis, les peintres classiques sociaux ou décoratifs, mais Vallotton fausse le jeu, en passant par tous les sujets, comme au hasard.
Il a même peint un derrière féminin, un cul nu et gras ou aucun pli, bourrelet ou cellulite n’est épargné, cadré serré, des cuisses à la taille!
Une preuve encore s’il en était besoin que ce peintre fut bizarre et n’est toujours pas classé aujourd’hui.
Mais ce mystère a un avantage: les critiques d’art peuvent en dire n’importe quoi, greffer leurs propres délires, se laisser aller un bon coup devant ces œuvres peu impressionnantes et ne s’en privent pas.
« Felix Vallotton, le feu sous la glace » au Grand Palais. Du 1er Octobre 2013 au 20 janvier 2014.
+ Toutes les images de Vallotton sont à retrouver dans le livre : Vallotton, Il fut lui-même par Jean-Jacques Breton, édition Hugo Image. Sous la direction de Jean-Baptiste Gilou. 160 pages, 19€95