Rencontre en rimes avec le Emcee.
Deen Burbigo, gravitant au sein du collectif l’Entourage, est un rappeur à la formation classique, dans le sens où il a fait ses gammes en tant que maitre de cérémonie, avec une approche du rap respectueuse, conscient de l’importance d’un apprentissage et de maîtriser les fondements d’un mouvement pour pouvoir se l’approprier et s’y faire remarquer. Sa construction artistique semble s’être opérée en deux temps :
- une érudition musicale importante, une approche presque boulimique de la musique que l’ont ressent dans la démarche quasi historienne, qui consiste à citer des auteurs et des références au sein de l’argumentation.
- et une approche empirique, des open mics aux battles et freestyles. De Deen Burbigo se dégage le sentiment d’avoir appris sur le terrain.
Il en découle au fil de l’entretien un certaine assurance, une sérénité d’un artiste conscient de son processus de création et qui semble savoir où il va.
Après un premier disque sous la forme d’une présentation : Inception, où Deen assoit ses marques de fabriques, une technique certaine et un flow atypique et reconnaissable, l’heure est aux prises de risques, à l’écriture des disques qui fondent l’identité artistique en tant que telle. A l’approche de la sortie d’un nouvel EP qui préfigure l’album, le timing nécéssitait une rencontre.
C’est ton deuxième projet solo, Fin D’après Minuit succède à Inception, comment as-tu abordé le fait de recommencer un projet dans son intégralité?
Les deux projets se sont fait dans le même créneau de temps, à savoir 5 mois. Je suis quelqu’un qui ne marche qu’à la pression, que ce soit pour un disque, pour des partiels ou un rendu quelconque. A vrai dire je voulais faire un album directement, mais quand j’étais devant l’édifice à construire j’ai un peu pataugé. Cela s’explique sans doute du fait que ces deux dernières années je me suis beaucoup ouvert à plein de styles que je n’écoutais pas forcément avant, et je m’en suis nourri en tant qu’artiste dans ce que je voulais donner ; mais je ne voulais pas pour autant faire un virage à 180°.
En gros, Cet ep est une évolution logique de Inception et l’album sera une évolution logique de Fin d’après minuit.
Pendant 6 mois, une période où j’étais en tournée, sans mentir, j’écoutais beaucoup de musique mais je n’avais pas gratté un seul couplet en entier. Et puis en l’espace de quelques semaines j’ai commencé à reprendre confiance en ce que j’avais envie de faire, et ça a lancé un processus de motivation, ça m’a orienté vers des beatmakers, et je suis rentré en studio déterminé avec les idées claires.
Cet ep est une évolution logique de Inception et l’album sera une évolution logique de Fin d’après minuit.
Il s’agit ici d’un nouvel EP avant la sortie de l’album fin 2014. Dans cette perspective, as-tu travaillé afin de donner une cohérence à l’ensemble du projet, y a-t-il une trame, une recherche afin d’illustrer plusieurs facettes de ce que tu crées ?
Il y a une cohérence naturelle je crois. Il peut y avoir des morceaux très différents au niveau du thème, ou des prods et de l’interprétation, mais je ne suis pas un artiste qui s’invente un personnage ou différents masques et variations. Je ne raconte que les fruits de mes déambulations, de mes lectures et de mes gamberges, tu peux me trouver sur une prod bounce ou dans un registre plus triste, mais je pense que j’assure une cohérence par le fait que je suis en tant que personne au cœur de chaque morceau, et puis par ma voix, ma façon de poser. Maintenant que j’ai la tracklist, je trouve qu’il y a quand même une relative cohérence.
En tant qu’artiste, il y a des choses que tu veux faire et il y a des choses que tu sais faire.
Il y a aussi des artistes qui arrivent à développer une vraie couleur, Nemir, par exemple en quelques secondes tu vas savoir que c’est lui. Ou Gang Starr aussi mais je ne pense pas que ce soit mon cas, je ne pense pas avoir une véritable couleur aussi prononcée que celle là. Il peut y avoir une prod boom-bap à l’ancienne, la suivante une prod avec des subs, beaucoup de charley, des TR. En somme je n’ai pas développé une vraie couleur qui soit à moi. Mais en revanche, j’ai, je pense, une identité vocale que les gens reconnaissent et qui est assez marquée pour que je puisse en jouer et puis comme je te disais, un univers autour de ma personne qui donne une certaine homogénéité à ce que je fais.
Quelle a été ta démarche vis-à-vis de Fin D’Après Minuit, as-tu cherché à révéler une autre partie de créativité mais aussi de ta personnalité?
Dans l’album c’est ce que j’aimerai faire. Mais déjà quand je dis j’aimerai, il faut savoir qu’en tant qu’artiste, il y a des choses que tu veux faire et il y a des choses que tu sais faire. Dans cet Ep, je voulais à l’origine faire des choses plus serrées en termes de thèmes mais je m’y sens étriqué en fait. Je me sens coincé dans un thème et ça casse ma créativité. Ou alors c’est un travail de longue haleine et je prends le temps de le murir. Et je n’écris pas tant de morceaux que je laisse traîner. En fait je les conçois plus comme des instantanés. Et je ne me concentre du coup pas sur un thème particulier, mais c’est un ressenti global à un instant T. Moi et mon bordel qui se cache dans mon crâne que je pose sur une prod.
Je suis, en tant que personne, au cœur de chaque morceau.
Pour ce nouvel EP as-tu voulu te concentrer sur de nouveaux types de prods, as-tu voulu te mettre en danger par rapport ce que tu as déjà prouvé savoir faire?
Clairement, en fait quand j’ai rencontré EFF (Eff Gee de l’Entourage NDLR), j’étais bloqué sur New York et lui écoutait déjà aussi le son de Houston depuis très longtemps, et je connaissais assez peu cette scène. Et ces prods là ne te laissent pas la place de rapper comme sur un rythme boom bap. Et le problème c’est qu’en France on s’est approprié ces jeux de rythmique propre à ces prods mais tout le monde s’est mis à rapper pareil, au même titre que sur le boom bap d’ailleurs, tout le monde utilisait plus ou moins les mêmes placements. En gros Kaaris a trouvé le truc face à ces prods et tout le monde à plus ou moins suivi ce genre de flow. Du coup, pour moi, l’exercice était de trouver une manière d’aborder les beats sur ce genre de rythmiques, je ne pense pas avoir révolutionné le truc mais je me le suis approprié en tout cas.
Tu as beaucoup tourné depuis la sortie d’Inception, on savait que tu avais déjà beaucoup pratiqué les open mics, mais est-ce que le fait de défendre un concert carré et construit a eu une influence dans ton processus de création?
A l’époque de mon premier EP je n’avais pas pensé une seule seconde à la scène. En cabine et en open mic, ça n’a rien à voir avec une demi-heure de scène et je m’en suis rendu compte. Le souffle est dur à garder dans la longueur et maintenant je travaille dessus.
Tu veux dire que ta façon de construire tes placements change donc en fonction de la scène ?
Ouais carrément, maintenant j’y réfléchis vraiment, et même après avoir fait de la scène quand tu réécoutes des artistes que tu écoutais tu captes certains de leur placements en se disant qu’il le font pour la scène. Eminem, par exemple, tu as l’impression qu’il ne respire pas sur scène, et je commence seulement à comprendre ses placements en live alors que ça fait des années que je rappe.
On était des kickeurs de rue à arpenter les open mics
Tu bosses aussi en ce moment sur l’album de l’Entourage, que t’apporte cet autre univers de création, le fait de collaborer, de soumettre et de discuter des idées sur chaque track? As-tu besoin de ces deux versants de travail?
J’aimerais pouvoir te dire que c’est quelque chose qui pourrait me nourrir dans mon projet solo mais ça n’est pas le cas. Mais je travaille avec des gars avec qui on a tout fait ensemble. On était des kickeurs de rue à arpenter les open mics, maintenant il y a des écarts d’âge, tout le monde commence à grandir, à faire évoluer leur univers artisitique, on a pas tous es mêmes sphères d’influences et du coup ça commence à se sentir de plus en plus. C’est un vrai kiff de travailler avec la famille, c’est une vraie cour de récré – mais artisitiquement c’est dur d’arriver à être dix sur un disque. D’autant que j’ai une approche assez pragmatique, je passe du temps à choisir une prod, à l’écouter longtemps pour être sur qu’elle ne va pas me lasser. Avec l’Entourage je ne peux pas faire ça. II y a des prods que je trouve fantastiques et qui ne vont pas plaire.
Dans mon rapport au travail, j’ai le souvenir de sessions de boulot avec Nemir, ou même des souvenirs de conversation, par exemple avec Oxmo Puccino, à chaque fois que j’ai pu parler avec lui il dégage une aura, une vision, que je partage pas intégralement avec lui mais il a une capacité à t’influencer, à te faire comprendre où sont les points que tu dois travailler. Avec l’Entourage je n’ai pas cette nutrition parce que on vient tous plus ou moins du même truc. Un rapport avec un Beatmaker là par exemple l’échange me nourrit artisitiquement.
La difficulté pour un rappeur est de pouvoir toujours surprendre à chaque track, comment travailles-tu et renouvelles tu tes structures de rimes pour avancer?
Dans le premier Ep je pense être allé loin dans le délire sur chaque morceau j’ai essayé des structures différentes et des flows différents, je vais pas te mentir aujourd’hui je suis vraiment passé à autre chose ça n’est plus mon souci premier. Je considère aujourd’hui ces techniques comme des outils.
S’il manquait une syllabe je n’en dormais pas.
Oui comme le solfège en quelque sorte.
Exactement, par exemple, je doute qu’un musicien dise « ouah t’as vu j’ai fait un Fa Mineur », à partir du moment où tu le maitrises tu ne t’y intéresses plus en tant que tel et tu t’en sers pour développer des mélodies. Avant sur le papier, mes structures AB AB il fallait que ça colle, s’il manque une syllabe je n’en dormais pas quitte à changer ma phrase pour avoir ma syllabe s’il le fallait.
Maintenant c’est l’inverse, je suis au feeling, ça permet plus de trucs, en termes d’interprétations, en termes d’écriture. Parfois une structure pas logique sur le papier elle sonne mieux que si elle avait été parfaitement carré. Moi c’était presque mon défaut c’est que je suis presque trop carré. Alpha Wann, qui est un des membre de mon crew qui m’influence, tu vois, il a poussé la technique à un point où il n’en est même plus prisonnier, il l’amène dans des trucs que je n’aurais pas imaginé.
Tu disais un peu plus tôt que tu te sens etriqué dans des thèmes trop sérrés, tu t’essayes assez peu au story telling par exemple, c’est un registre d’écriture qui ne t’inspire pas beaucoup?
En vrai ça dépend des fois, parfois je pars avec un thème et je finis par le suivre mais ce sont toujours des thèmes très larges, ce n’est jamais la faim dans le monde où la situation politique au Botswana. Ou alors ce sont des morceaux dans un cadre particulier, où je suis efficace par exemple avec l’Entourage, on écrit un seul 12 mesures ou 16 mesures et là je colle au thème mais ça n’est pas développer un morceau en entier, ce qui est plus long et compliqué.
Et puis je crois que j’écoute assez peu de morceaux à thèmes en fait, ou du lifestyle plus exactement, même si j’adore le story telling, Slick, Rick, par exemple, m’a traumatisé, Raekwon, Ghostface. Medine, en France sur son album 11 septembre aussi avait fait un morceau de story telling qui m’avait marqué.
En vrai si je veux coller à une thématique, j’ai le bagage pour développer des story tellings, mais ça n’est pas forcément ce que j’ai envie de faire, c’est quelque chose que j’aborde par d’autres rapports que la musique, mes lectures etc….
Dans ton dernier clip : Suis-je, tu affirmes « Je me suis saoulé tout seul à vouloir parler du rap, ils mythonnent pour jouer les thugs, je mythonne pour paraître plus sage, crois-moi, je ne veux pas de leurs masques, je m’en bats de leurs bails, je reste posé sur mon canap, je n’irai pas à leur bar » : d’où te viens ce recul par rapport à ce que tu fais?
Oui c’est juste qu’en 3 ans, à nos âges on acquiert une certaine maturité. J‘ai fini la fac, et j’ai été propulsé dans un truc auquel je rêvais sans jamais vraiment y croire. Il y a deux types de rencontres en fait. Il y a le Game, un jeu de réputations où les mecs finissent en fait par s’enfermer et puis il y des rencontres comme Kohndo, Rocé qui sont des gens pour qui j’ai du respect, mais qui ne sont pas dans le Game à proprement parler. Ce que j’évoque dans cette phase c’est ce Game des gens qui calculent et juste ça, ça n’est pas mon monde et c’est de ça dont j’ai voulu prendre mes distances. J’ai envie de vendre des choses positives ça me porte plus, et c’est vers ça que je me tourne.