L’oeil-focal d’Anders est le miroir mécanique de l’âme des autres – jusqu’au 3 février à l’Espace Richelieu.
Il est 16h sur nova, on grelotte dans ce gift shop, et on se réchauffe en se frictionnant avec le grain d’une photo suédoise ; les Nordiques savent y faire en chaleur hivernale !
Anders Petersen est suédois, il est né en 1944, et il a beau avoir été l’élève de Christer Strömholm, s’être vu récompensé plusieurs fois a Arles, il ne se considère pas comme photographe. Délaissant, selon ses termes, la technique au profit de la rencontre, l’appareil s’établit plus comme un médiateur que comme un médium.
Pourtant Anders Petersen fait du noir et blanc, au sens où il crée un noir et blanc qui n’appartiennent qu’à lui, une véritable matière. Et les univers qu’il déploie depuis plus de 50 ans dans des photos singulièrement fortes, brutes, immédiates, sont exposés à l’Espace Richelieu de la BNF à Paris. Les différents projets de l’artiste y sont présentés, sans commentaires, du sol au plafond, avec la sobriété imposante du grand format non encadré qui évacue toute mise à distance. On appartient au moment présent, on y est enfermé.
Petersen s’interesse depuis toujours à l’espace clos, à cette contrainte spatiale que sa personnalité réclame pour favoriser la profondeur. Il a commencé un travail d’immersion très tôt, en 1975, quand fraichement débarqué à Hambourg, il se prend d’amitié pour les habitués d’un rade.
Au café Lehmitz, aujourd’hui disparu, se bousculent Macs, putes, voleurs, escrocs, piliers de comptoirs et bellâtres gominés, qui adoptent ce jeune homme un peu paumé. Il les photographiera entre ces murs 3 années durant, tous les soirs, poussant toujours plus loin les limites de leur intimité, les pénètrant d’une façon sensuelle quasi érotique. C’est ce sentiment charnel qu’on retrouve d’ailleurs dans tous les clichés d’Andersen, du plus trash, et ils peuvent l’être, au plus tendre. Animaux ou humains, Petersen cherche le contact, le point d’identification, il s’attache, se colle, reconnait, et le grain de la photo et le grain de la peau ne font plus qu’un.
Il arrive que le résultat soit à couper le souffle, ses sujets se voient alors transcendés par leur propre honnêteté, par la vérité de leur existence capturée par Petersen. On pense à la série qu’il réalise dans un hospital psychatrique: Mental hospital. Mais puisque capturer demande de guetter et que la vérité demande de connaître, le photographe s’installera à l’asile pendant 3 ans.
Anders Petersen n’affirme rien, il ne cesse de se chercher, n’impose donc jamais son point de vue, préférant se fondre dans son sujet. Se désintègre alors toute impression, tout potentiel de voyeurisme.
Mental Hospital s’incrit dans un triptyque s’étalant, de fait, sur 10 ans : 3 ans d’asile, 3 ans de maison de retraite, 3 ans de prison. Mise en abîme esthétique, la clôture géographique salutaire pour l’artiste, se traduit esthétiquement par une absence d’hors champs. Ce qui existe dans le cadre est tout ce qui existe, c’est l’essence du présent et de l’immuable tout à la fois.
Une double clôture donc, qui oblige le trajet vertical, à descendre en soi-même ou à s’élever au delà de soi.
Dans le cadre de Paris Photo 2013.
Cela se passe à la BNF, site Richelieu, du 13 novembre 2013 au 2 février 2014
Et si vous n’êtes pas à Paris, n’hésitez pas à vous procurer les ouvrages du photographe ici, ou encore le numéro 98 de la très bonne collection « Photo Poche » de chez Acte Sud qui lui est consacré.