La tolérance à l’ordre du jour
A ma gauche, le deuxième numéro de Noor, une revue pour un Islam des Lumières dont le 1er numéro est paru au printemps 2013. A ma droite, le numéro de février du mensuel Books qui consacre sa une à Hitler. D’un côté la défense de la tolérance et de la liberté sous toutes ses formes ; de l’autre une description des horreurs et de la bêtise de l’intolérance. Deux lectures qui me paraissent salutaires tant les manifestations de haine gratuites se sont multipliées sur la place publique ces derniers mois. Faut-il organiser une marche pour la tolérance ?
Noor, pour un Islam humaniste
La revue Noor prône le vivre-ensemble. Son fondateur, l’Algérien-Parisien Malek Chebel, un philosophe et anthropologue des religions, souhaite qu’elle soit le relai d’un esprit d’ouverture et de tolérance. Le contenu y est varié, pédagogique, et à mille lieux de de tout prosélytisme. En exemple, une carte blanche au MUCEM de Marseille à qui l’artiste Adel Abdessemed a offert son oeuvre « Il Meglio delle Tre Religioni » (littéralement : le meilleur des trois religions), livre dans lequel se mêlent (et se superposent) la Bible, la Torah et le Coran.
L’ouverture est de mise. D’ailleurs, tous les articles ne traitent pas de l’Islam. C’est le cas d’un entretien avec le couple de sociologues français Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon. Ils y synthétisent leur enquête sur la violence des riches. Pouvoir économique, patrimoine, prestance sociale et savoir. A tout points de vues, symboliques ou objectives, les richesses écrasent une classe populaire qui ne constitue plus l’ensemble qu’elle était. Tels sont les mots de Michel Pinçon :
« La classe populaire, en déshérence, ne s’appuie plus sur la transmission de la mémoire collective. Autrefois, les jeunes héritaient d’une fierté ouvrière : d’une culture orale, d’une histoire, celle de la commune de Paris, etc… La classe bourgeoise assure sa continuité en cultivant la mémoire, ses souvenirs… Beaucoup éditent, parfois à compte d’auteur, à l’attention de leur famille, de leurs amis… »
Si la transmission a disparu au sein des classes populaires, la revue Noor, elle, met un point d’honneur à raconter les histoires de ces oubliés.
(le spectacle 19-Born-1976-Rebels à Avignon)
Dans un autre entretien, c’est à la chorégraphe Sud-Africaine Mamela Nyamza que l’on a demandé d’évoquer les démons de la répression de Soweto en 1976, quand les Noirs se soulevèrent contre l’Apartheid. A cette époque, la jeune femme était dans le ventre de sa mère. Il n’empêche que les séquelles sont restées palpables, et aujourd’hui Mamela Nyamza en a tiré un spectacle s’inspirant d’une phrase dite un jour par un militant sud-Africain : « Les gens doivent parvenir à vaincre cet élément de la vie politique qui joue contre eux. Cet élément, c’est leur sentiment d’infériorité ». Comme Noor, la danseuse a l’ambition de répandre de l’espoir à ces gens-là.
Hitler, intime : de l’origine du mal absolu
Aujourd’hui la revue de presse est toute en légèreté… On poursuit avec le mensuel Books, qui titre son dossier : « Hitler intime ». (Louis Dumoulin & Ngiraan Fall de Books en parleront ce soir dans la Nova Book Box de Richard Gaitet)
Connaît-on vraiment Hitler ? Est-il l’incarnation du mal ? Du diable ? Quand sa haine est-elle apparue ? En se servant de différentes biographies, les articles proposent différentes réponses. Dès l’enfance viennoise (cf la biographie de Normal Mailer, Un château en forêt), dès sa naissance , chez les militaires, après la première guerre mondiale… Rien de très réjouissant, vous l’aurez compris, mais une plongée intéressante dans les étapes successives de la vie d’un « monstre » naissant.
(photo parue dans Books : Hitler en compagnie d’Eva Braun)
Mais ne croyez pas vous en sortir comme ça ! Une fois le dossier terminé, d’autres références au Nazisme sont parsemées dans le magazine. L’une d’elles mentionne la réédition d’un chef-d’oeuvre allemand de 1946, rédigé par l’écrivain Hans Fallada en 25 jours, sous l’emprise de la drogue. Portrait sans concessions des Allemands sous le nazisme, le roman raconte l’entrée en résistance d’un couple, après la mort de leur fils sur le front.
(L’écrivain Allemand Hans Fallada)
Toujours dans le même thème, un article évoque la publication d’une biographie de Ladislav Fuks, un écrivain Tchèque mort il y a vingt ans dont l’oeuvre « mêlait l’horreur et le grotesque » d’après le journaliste qui nous décrit son premier roman (Monsieur Mundstock, Ladislav Fuks (Ed. L’Engouletemps) :
« Dans Monsieur Mundstock (…) Fuks raconte l’histoire pathétique d’un juif de Prague sous l’occupation nazie. Résigné, l’homme attend sa déportation en parlant à son ombre et à une poule imaginaire. Pour conjurer la peur, il entreprend de se préparer à l’épreuve des camps. Comment porter sans trop peiner sa valise de cinquante kilos ? Dix pas dans une main, dix dans l’autre… Il dort sur une planche, s’entraîne à avoir faim et même, un soir, à mourir ».
Les bibliothèques du monde : destinations de rêve.
Quitte à mentionner tous ces livres, pourquoi ne pas pratiquer l’art monomaniaque de la mise en abyme et vous parler d’un livre qui parle de livres avec, cette fois, une petite touche de légèreté. Librerias, de Jorge Carrion, est un voyage de l’auteur à travers le monde des librairies et des bibliothèques. Le livre regorge d’anecdotes savoureuses sur des lieux cultes ou peu connus. Carles Geli, l’auteur de l’article nous en rapporte quelques unes. On y apprend par exemple que l’écrivain Beat, Gregory Corso, volait des livres en librairie avant d’essayer de leur revendre ou qu’une scène d’Harry Potter a été tournée à la Lello, la célèbre librairie de Porto. Voilà un ouvrage qui devrait plaire à tous les amoureux du livre. A quand une traduction française ?
Librerias, Jorge Carrion (Ed. Anagrama, 2013)