Grandeurs et sacrées décadences d’un cinglé prodigieux !
A l’heure de grande écoute de la NSA et alors qu’on célèbre les 10 ans de facebook qui sera bientôt ado et commencera à nous gonfler, on parle internet avec un pionner de ses failles.
Bienvenue dans un gift shop qui regarde derrière son épaule pour s’assurer qu’il n’est pas suivi. Paranoïa est le mot clef ici.
La paranoïa lorsqu’associée à un grand sens commercial, peut se transmettre, se propager, jusqu’à transformer la réalité ; une véritable force basée sur une peur irrationnelle qui agit on ne peut mieux sur le grand immatériel de l’internet.
Sur ce terrain, on rencontre John McAfee. Mais si, Mc Afee, l’antivirus qui s’affiche sur vos PC et qui apparemment déconne sévère (z’aviez qu’à avoir des macs aussi)… Au départ, c’est un américain brillant et tourmenté, à l’enfance difficile, qui se relève difficilement d’années passées la tête enfouie dans la drogue et l’alcool. Suite à l’invention en 86 au pakistan du 1er virus, il met à profit sa peur panique d’un danger invisible ainsi que son intelligence redoutable et réussit à convaincre, à grand coup de prophéties catastrophiques, la majorité des entreprises américaines de s’équiper de son antivirus. Voilà John McAfee milliardaire à 38 ans.
Ses craintes de poursuites judiciaires et de saisies bien planquées sous des envie d’exotisme et de liberté, il revend ses biens et s’installe dans la jungle d’Amérique centrale, au Belize, dans une demeure fortifiée et gardée à la hauteur de ses névroses. Il y vit, tatoué comme une panthère, entouré de flingues, de chien errants dressés, d’anciens détenus reconvertis en gardes. Une rencontre avec une chercheur de Harvard en vacance le transforme en mécène de la recherche et il crée, dans sa résidence, un labo haut de gamme chargé de trouver et développer de nouveaux antibios naturels grâce auxquels il entend contrer les grands groupes pharmaceutiques. Toute forme d’autorité présentant un risque, il développe un syndrome de super-héros à la morale douteuse.
Persuadé que le village le plus proche sert de plaque tournante de la drogue, il équipe la police locale, s’en sert comme d’une milice, patrouille dans les rues, règle lui-même les conflits, veut éradiquer le trafic : John Mc Afee est devenu un John Wayne un peu barge qui tour à tour inquiète, rassure ou amuse les habitants.
On le croise dans les très bas fonds du coin, trainant ses guêtres dans les bordels infréquentables, « sauvant » les prostituées les plus jeunes et les plus démolies pour les installer en maîtresses dans des bungalow. Il ira jusqu’à racheter un de ces rades de jungle pour y monter un bar qu’il nomme en toute simplicité : studio 54.
L’ensemble de sa conduite et les nombreuses provocations dont il s’amuse sur des forums internet, lui valent une très grande attention de la part des autorités locales qui le soupçonnent de faire le ménage pour mieux s’installer comme nouveau baron de la drogue (un petit coup d’oeil sur les photos réussit à faire envisager leur point de vu).
John Mc Afee est devenu John Wayne.
Suite au meurtre d’un de ces voisins, et sous l’effet d’une paranoïa galopante devenue incontrôlable, il se voit contraint de prendre la fuite. Après quelques mois en taule au Guatemala, il feint la crise cardiaque et se fait rapatrier aux States.
Vous vous dites, voilà un personnage qui pourrait mériter des milliers et des milliers de pages tant il semble cristalliser les plus grandes failles et les plus grands fantasmes du monde moderne. Après 6 mois d’enquête, de relations, d’entretiens, le journaliste de Wired Joshua Davis décide de lui en offrir 100, dans un livre sorti chez Inculte « John Mc Afee : un terroriste moderne. »
Joshua Davis se concentre sur des éléments clefs, l’allure, l’accent de la virginie, les chiens, l’enfance difficile, quelques points qui permettent qu’on les relie pour former ainsi une image, un dessin de McAfee, personnalité trop complexe pour être résumée de son vivant. (Les morts, eux, ont une tendance à la souplesse)
Ces pages écrites en obsessions, répétitions, détails, que contredisent de grandes ellipses ou de sacrés résumés, donnent une impression du personnage. L’auteur à la manière d’un peintre y opère des choix de style et de lumière déterminants.
Le livre se concentre sur l’exil, s’ouvre sur un Belize vivant qui s’oppose, en alternance de chapitres, à un passé américain esquissé, lui qui pourtant constitue la postérité et l’héritage de Mc Afee. Il faut dire que le récit de la vie de Mc Afee dans un bled au milieu des colonies de fourmis rouges est un délire absolu, rocambolesque, terrifiant et drôle, de ceux qui constituent les mythes et les monstres tragiques.
Entre mensonge et folie, Joshua Davis prend le parti de ne pas en prendre, et expose simplement les divers points de vue, laissant ainsi le lecteur face à ses propres tendances, à ses névroses personnelles. Ce dernier doit alors faire consciemment un choix qui lui est déjà quotidien entre paranoïa et déni.
Instaurer le doute, c’est rester au plus près de l’esprit de McAfee, entre autofiction, second degré corrosif et mégalomanie formidable.
Une complexité préservée que l’achat des droits et la mise en fiction cinématographique risque de gommer ; heureusement Mc Afee est vivant, et le fait savoir par le biais de vidéos provocantes où il exploite son humour dérangeant sans limite, ni censure, et le jette à la figure de ses détracteurs, qu’ils soient simples internautes, policiers du belize où il est toujours recherché, Amérique bien pensante, gouvernements. Pour tout dire, il est assez juste de supposer qu’il montre son doigt du milieu bien dressé au monde entier. Ca serait pas ça un anarchiste moderne?
On vous les met à dispo ici même, vous le verrez défendre Snowden, proposer un logiciel à moins de 100$ « D-central » grâce auquel l’internaute devient invisible pour la NSA, (quand on lui présentera le danger que constitue cette technologie aux mains des terroristes, il répliquera : « so is the cellphone »), brûler des billets de banque en se faisant masser par des prostituées puis tirer une balle dans un ordinateur pour le débarrasser de l’antivirus McAfee, et bien d’autres choses encore…
PS: Cette année, au grand soulagement de son créateur, l’antivirus McAfee va enfin changer de nom pour « Intel security ».
John McAfee: un Terrorisme moderne, Joshua Davis, Inculte éditions, 13,90€, à se procurer ici
Pour en savoir plus, le blog de McAfee est même traduit en français, c’est délicat : www.whoismcafee.com
Extrait
« il me dit qu’il lutte contre les drogues à Carmelita mais en même temps il essaie de piéger les consommateurs via internet en les poussant à prendre des substances toxiques. Il fustige ses employés qui boivent de l’alcool, mais il est propriétaire d’un bar. Il revendique son respect de la loi – et blâme la police pour ne pas avoir respecté ses droits – mais il a déménagé au Bélize en partie pour échapper à la justice américaine au cas où il perdrait un procès civil. Il est un étranger pour sa propre fille et pourtant il se met à pleurer dès qu’il voit souffrir les enfants des autres. La police pense qu’il est une cheville ouvrière du trafic de drogue ; je ne peux m’empêcher de me demander s’il a perdu tout lien avec la réalité. «