Chronique du dernier film de Wes Anderson.
Je me suis faufilée sans frites dans une salle de cinéma bondée hier soir pour voir le dernier Wes Anderson – et ça valait le coup de coude et autres altercations. Une seule critique à formuler dont je préfère me débarrasser rapidement.
Le Face Dropping : cette galerie de célébrités qui interviennent une demie seconde, ne fait, à mon sens, que distraire, créer une distance dans un univers magique qui n’en n’a aucunement besoin.
Pour le reste, je rejoins le troupeau des gens qui sont d’accord entre eux : The Grand Budapest Hotel c’est drôlement bien. Mais attention, sans être forcément franchement drôle.
On sourit, c’est certain, tout émerveillé qu’on est, mais oubliez l’hilarité sonore. L’humour est certes cartoonesque, très proche de ces comédies des années 30/40 au débit rapide, au décor théâtral et à la réplique culte. On pense au cinéma Hollywoodien classique, à ces Impossible Monsieur Bébé où tout se passe très vite- on tombe par terre, on claque des portes- mais aussi, et Wes Anderson s’en réclame, aux comédies sophistiquées aux répliques cinglantes et théâtrales, ou encore les comédies de l’Europe carton pâte comme To be or not to be et Shop Around The Corner de Lubitch (si vous ne l’avez pas vu, et bien voyez-le mon brave !).
Malgré une fantaisie fondamentale et savoureuse, on retrouve dans Le Grand Wes, la même tristesse de fond que dans les vieux films de maîtres d’Hollywood. Sous le vernis brillant de la comédie se dessinent des situations plutôt tragiques : la pauvreté, le chômage, la solitude et la guerre sont la toile de fond du Shop Around the Corner tandis que la guerre, le fascisme et la dictature imminente encerclent The Grand Budapest Hotel.
Pour mieux comprendre le décalage fondamental du film d’Anderson, il convient aussi de rappeler qu’il est une adaptation partielle, de l’esprit si ce n’est de l’histoire, de l’autobiographique et testamentaire texte de Stephen Zweig Le monde D’hier : Souvenirs d’un Européen. L’écrivain, comme le héros d’Anderson M.Gustave, joué par un exceptionnel Raph Fiennes, y déplore la perte d’un monde fait d’arts et de raffinement, le Vienne d’avant la guerre.
Mais contrairement à Zweig qui, exilé au Brésil et ne supportant plus ce déclin fondamental de l’humanité, se donne la mort ainsi qu’à sa femme, juste après l’envoi du manuscrit chez l’imprimeur, M.Gustave se refuse à la disparition, à l’extinction. En dehors de quelques crises de lucidité subites et éphémères caractérisées par l’irruption de la vulgarité dans un langage autrement précieux, il conserve intact cet esprit d’humanité à l’intérieur de l’Hôtel par les biais les plus variés et surprenants (une forme notamment de prostitution, grand thème des classiques hollywoodiens) : il se bat pour cette humanité gracieuse, même artificielle, et se sacrifie pour en dénoncer l’absence.
Il y a là une rencontre d’un réalisateur et d’un écrivain qui tient de l’oxymore, une obscure clarté dit le manuel de figure de style.
Un curieux mélange et un équilibre d’autant plus précieux qu’il est fragile. Entre poésie presque enfantine, et narration, délire animé et profondeur des personnages. C’est vrai, c’est réussi.