« Fonder des bibliothèques, c’était encore construire des greniers publics, amasser des réserves contre un hiver de l’esprit qu’à certains signes, malgré moi, je vois venir. » L’immortelle Marguerite Yourcenar, prêtant sa plume à l’empereur Hadrien, nous avait éclairée de cette phrase tragiquement actuelle.
Oui, en dépit des hiérarchies décrétées par les gouvernances, les bibliothèques, les librairies (a fortiori indépendantes), les livres nous sont indispensables, pour qui souhaite s’affranchir d’une existence réduite à quatre murs, à quatre planches, à quatre mots d’ordre serinés façon « Technologic ». Peu importe ce qu’on veut et souhaite trouver, en tournant une couverture puis les pages qui suivent – une sensation esthétique, une nomination du monde, un compagnonnage, un appel d’air spatio-temporel –, il y a toujours une bonne et belle raison de pousser la porte (avec réservation préalable, en ces temps troublés) d’un lieu rempli de bouquins.
Par exemple, celle de la Géolibri.
Nichée au coeur de l’Écosystème Darwin, le fameux tiers-lieu à la berlinoise de la Caserne Niel, la Géolibri est la petite dernière des librairies bordelaises (elle a ouvert en septembre dernier). Avec son nom à la double évocation écologique – combinant la géographie terrestre et la fameuse « part du colibri » – la Géolibri porte ses attentions et consacre ses rayonnages à trois grandes thématiques : les voyages, l’écologie et les questions de société. De l’engagement et du dépaysement, qu’on retrouve au fil des pages, des cases et des paragraphes des romans, BD, essais, études, livres d’illustrations et récits bourligueurs sélectionnés par Ludovic Iribarne et Marianne Caron, qui ont apporté le même soin à vous suggérer quelques avantageuses lectures.
- Le Centaure de l’Arctique, d’Yves Gauthier (Transboréal, 2001, réédition 2020)
Vous trouvez que le Tour de France, c’est de la petite bière ? Que les enjeux sportifs et mercantiles y assèchent les envolées romanesques, le panache ? Si c’est le cas, votre soleil se lève à l’Est, avec l’histoire vraie de ce projet mené à bien par un ouvrier de Pskov : faire le tour complet de l’URSS, des froidures sibériennes aux déserts afghans. Une aventure cycliste insensée, picaresque, boudée par les politburos de Moscou – pas tellement portés sur la beauté du geste – qui la rejetteront sèchement comme « socialement inutile ».
Ludovic Iribarne : « Trois ans et 80 000 kilomètres à vélo pour faire le tour de l’URSS par les bordures. Un exploit hors normes, en 1927, avec des bicyclettes aux roues pleines et aux freins hasardeux. Une épopée folle qui coûta à Gleb Travine quelques orteils, traversant par des températures polaires des paysages grandioses. »
- Odette fait des claquettes, de Davide Cali et Clothilde Delacroix (Sarbacane, 2020)
Pour les plus pitchounes des lecteur.rice.s, Odette fait des claquettes sera, à leurs jeunes intelligences, un rafraichissant éveil à la tolérance, à l’affirmation des rêves et au refus du bodyshaming. Le tout avec un trait rond et délié qui dessine une vie, des sourires, des émotions qui, à coup sûr, feront écho.
Ludovic Iribarne : « Trop grosse, trop maigre, maladroite, parfaite, tout le monde a son avis sur Odette, mais elle s’en fiche, elle fait des claquettes et rêve de devenir écrivaine. Un album tendre et drôle qui nous parle d’affirmation et d’acceptation de soi, et ça fait du bien ! Conseillé à partir de 5 ans. »
- L’Afrique les Yeux Ouverts, de Jean-Paul Rousseau (Elytis, 2020)
Publiés par les éditions bordelaises Elytis, ces « carnets d’un voyageur ingénu » en pays subsahariens (du Bénin à l’Ouganda en passant par le Cameroun, le Rwanda ou le Togo) assemblent les mots et les coups de pinceaux pour retracer des années d’expéditions dilettantes, de rencontres impromptues, d’anecdotes déroutantes. Un « beau livre » comme on dit, inspiré par Kessel et Cendrars, entre autres.
Ludovic Iribarne : « Dans ce carnet de voyage, Jean-Paul Rousseau nous immerge dans une Afrique rurale, à la vie modeste, mais riche en émotions. Sans ambition ethnologique, il nous livre ses pensées et observations et recueille les histoires glanées au fil des rencontres. Et quel talent pour réaliser ces portraits époustouflants à l’aquarelle, d’un réalisme incroyable ! »
- Les Déliés, de Sandrine Roudaut (La Mer Salée, 2020)
Puisque, c’est entendu, la dystopie a quitté le champ littéraire pour contaminer la réalité – anthropocène, pandémies, post-vérité, Sécurité Globale, etc. – , il est sans doute temps de renverser la vapeur et de proposer au « monde d’après » une arche de contre-récits ouvrant vers de possibles utopies. C’est ce que développe Les Déliés ; un club des cinq, cinq femmes qui montent « la Plateforme », ambitionnant de changer le monde, donnant un corps politique aux réflexions de cette essayiste, autrice ici de son premier roman.
Ludovic Iribarne : « Ce roman explore un futur où les citoyens reprennent leur destin en main en s’affranchissant des chaînes de la modernité. Une fiction utopiste foisonnant d’idées où les femmes ont la part belle et renversent des montagnes grâce à un plan de résistance citoyenne. Ce livre est l’histoire d’un monde qui bascule… »
- L’Oasis, de Simon Hureau (Dargaud, 2020)
« Il faut cultiver notre jardin » : le conseil voltairien de Candide n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd, en ce qui concerne Simon Hureau. Ce dessinateur entreprend de verdir sa main en autodidacte, recréant une véritable oasis de biodiversité, végétale et animale, à partir d’un no-man’s-land en friche – et en livre l’inspirant témoignage via cette BD.
Ludovic Iribarne : « Simon Hureau nous émerveille. A travers son expérience personnelle, l’auteur montre l’incroyable diversité qui se cache dans son jardin, pourvu que nous laissions la faune et la flore s’épanouir. Une belle déclaration d’amour à la nature qui nous entoure. »
Et la belle griotte sur la pâtisserie, c’est que, si vous êtes l’heureux.se gagnant.e du Nova Aime, vous pourrez opter pour le livre de votre choix parmi cette jolie sélection. Et filer ensuite à la Géolibri, léger.e comme un oiseau, engouffrer dans votre besace en coton ce très appréciable cadeau de Noël avant l’heure.
Géolibri, 87 quai de Queyries (Espace Darwin), à Bordeaux. 05 56 77 79 81. lageolibri@gmail.com.