Attention, Environnement Total Révolutionnaire.
En 1917, la révolution russe allait rejoindre, au niveau artistique, tout ce qui se faisait en Europe de l’ouest : art abstrait, modernisme, design, revues d’avant garde, photos et architecture.
Puisque les Soviétiques voulaient construire un nouveau monde, les artistes (comme Kasimir Malevitch, Olga Rosanova, El Lissitzky…) devaient inventer un nouvel art. Il y eut deux branches à cette esthétique : le suprématisme et le constructivisme.
Deux styles proches, partant de l’abstrait, de figures géométriques (carré, cercle, triangle + des lignes) tout en donnant une idée d’espace, comme si ces éléments volaient dans les airs. Un style spatial, beau, quasi parfait : un spatialisme suprême ? (Comme les Delaunay à Paris et leur art flottant, l’Orphisme).
Et une esthétique d’équilibres, de masses, d’élégance graphique, de belles proportions, donnant force et beauté, et une impression de solidité : le constructivisme (préfigurant les plans d’architecture moderne).
Bien sur, l’influence des cubistes et des futuristes se sent, mais aussi les travaux de Mondrian, de la revue « De Stijl » aux Pays-Bas, les Neo Plasticiens et enfin des artistes Dadaïstes comme Kurt Schwitters, Hans Arp ou Abstraits comme Wassily Kandinsky, en Allemagne.
Ajoutez les architectes comme Mies van Der Rohe (et ses grilles métalliques pour gratte ciel en métal et acier), Walter Gropius et l’école du Bauhaus, cherchant à généraliser cette esthétique au design, costumes, décors, objets et bâtiments…Voilà l’œil du cyclone !
Mais les Russes avaient en plus l’atout révolutionnaire : tout revoir, tout refaire, et avec les moyens d’un état géant. Lissitzky en fut l’ambassadeur culturel, ne cessant d’aller et venir d’Est en Ouest, observant cet art moderne de l’ouest et affirmé par Malevitch, il va répandre ce suprématisme constructiviste dans TOUT
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Il va devenir peintre, photographe, architecte, maquettiste et designer, appliquant le projet révolutionnaire à toute œuvre : tableaux ou collages sont des « voies », des « projets », des « avancées » vers le futur, pour le bien de tous.
Avec artisans et élèves à Vitebsk où il travaille, il va couvrir autobus, bâtiments et façades de ronds géants, de carrés, de triangles, de lignes dynamiques et d’ affiches avec photomontages audacieux : car c’est aussi de la propagande pour le nouveau monde.
Rouge, noir et blanc dominent, accompagnés de gris et de couleurs pures (jaune et bleu) : force, simplicité, évidence, afin de se débarrasser de l’ancienne esthétique en arabesques tortillonnantes et rococos, symbole du vieux monde décadent et bourgeois !
Appliqué aux magazines, affiches, tracts, catalogues, et avec l’apport de la typographie, de photomontages et maquettes de pages, Lissitzky va faire un malheur : c’est neuf, c’est beau, c’est clair !
Pour les stands des expositions internationales, les Russes vont encore se tailler la part du lion, avec ces formes puissantes en volumes géants. Colonnes, porches, cubes, sphères, tours métalliques avec lettres immenses : l’art moderne est entré dans l’environnement.
Lissitsky fut d’abord romantique à la Chagall, puis suprématiste à la Malevitch et enfin Staliniste, encadré par l’état (1930- 40). Il meurt en 41.
L’ironie de l’histoire c’est que ce style, ultramoderne pour les années 20-30, va faire la promotion et la propagande d’un système qui deviendra bureaucratique, arriéré et finalement passéiste…
EL LISSITZKY – L’Expérience de la totalité. Editions Hazan : monographie de l’oeuvre complète. 200 p, 45E