Fabe? Non, Maupassant…
Guy de, de son prénom, Maupassant en bon disciple d’un Flaubert amoureux des putains, meurt terrassé par une honorable syphilis en 1893; Guy de Maupassant, à qui on doit Boule de Suif, Une Vie ou encore Bel Ami, partage également avec le maitre Gustave une même rigueur scrupuleuse de la langue, un même œil incisif sur la société de son époque et, au-delà, sur l’atemporelle nature humaine.
En ce sens les quelques nouvelles compilées dans le petit carnet des éditions de l’Herne sous le titre L’Honneur et l’argent sont exemplaires.
Employés de bureaux, petits commis, aristocrates désargentés, « petit jeune homme qui pensait tout ce qu’on devait penser« , toutes les strates de la société y sont croquées et dévorées avec simplicité et cruauté à la manière du conte, autre grande affection littéraire du maître Flaubert qui encensait Perrault.
Seulement le conte est contemporain, et à la morale rurale s’ajoute un cynisme urbain. Le loup n’y est plus, remplacé par la carnassière société déjà capitaliste qui n’a pas besoin de souffler pour abattre les facades de pailles qu’on s’y construit pour exister.
Ecrites entre 1882 et 1884 et publiées à la manière de chroniques dans Gil Blas ou Le Gaulois, ces quelques courtes et redoutables nouvelles sont introduites par un extrait du texte non-fictionnel L’Honneur et l’Argent qui donne son nom au recueil.
Diffusée dans Le Gaulois du 14 février 1882, ce sans cœur de Guy de Maupassant faisant honteusement fi de la saint Valentin, s’y indigne et c’est bien le terme indiqué » Voler 10 sous est toujours voler ; mais faire disparaître 100 millions n’est point voler. Des directeurs de vastes entreprises financières font chaque jour, à la connaissance de la France entière, des opérations que tout leur interdit, depuis les réglements de leurs sociétés jusqu’à la plus vulgaire bonne foi ; ils ne s’en considèrent pas moins comme parfaitement honorables. »« . Un texte diatribe contre le règne de la finance triomphante qui, tissant des manteaux couteux et tape-à-l’oeil, incite à mettre au clou les pelisses simples et élégantes de l’intégrité véritable.
A un siècle et des poussières d’écart, ça ne semble pourtant pas si poussiéreux !
« L’honneur et L’argent« , Guy de Maupassant, Carnets de l’Herne, 7,50€, avril 2014
« Nous assistons, certes, depuis quelques années, à un déplacement de la conscience. La morale change. La morale est pareille aux bancs de sable des rivières : elle se promène ; elle est tantôt ici et tantôt là, s’élève en montagne au-dessus du courant des mœurs et des instincts, forme des obstacles infranchissables en certains points ; puis soudain tout s’aplanit et l’onde humaine se remet à couler librement, barrée plus loin par la dune mouvante. L’immense catastrophe financière de ces temps derniers vient de prouver d’une façon définitive (ce dont on se doutait un peu, d’ailleurs, depuis pas mal d’années) que la probité est en train de disparaître. C’est à peine si on se cache aujourd’hui de n’être point un honnête homme, et il existe tant de moyens d’accommoder la conscience, qu’on ne la reconnaît plus. Voler dix sous est toujours voler ; mais faire disparaître cent millions n’est point voler. Des directeurs de vastes entreprises financières font chaque jour, à la connaissance de la France entière, des opérations que tout leur interdit, depuis les règlements de leurs sociétés jusqu’à la plus vulgaire bonne foi ; ils ne s’en considèrent pas moins comme parfaitement honorables. Des hommes à qui les fonctions et le mandat qu’ils ont, et les dispositions mêmes de la loi, interdisent tout jeu de Bourse, sont convaincus d’avoir trafiqué sans vergogne, et, quand on le leur prouve, ils font en riant un pied-de-nez, et en sont quittes pour aller manger en paix les millions que leur ont donnés des opérations illicites ! Quant au fretin des agioteurs, il se fait un devoir de manquer de conscience, et presque une gloire de mettre dedans les naïfs. Le courant de la spéculation a passé sur l’antique probité et a dispersé sa montagne de sable. On a gardé, il est vrai, dans le monde une sorte de probité extérieure, d’honnêteté relative. Ce qui a disparu surtout c’est la scrupuleuse intégrité, cette minutieuse propreté de la conscience, cette fine délicatesse de l’homme qui ne se serait laissé salir par aucun douteux contact d’argent. Dans la crise que nous traversons, on a pu sonder exactement toutes les profondeurs de l’improbité ; et, tandis que les petites gens, atteints par la débâcle, payaient jusqu’au dernier sou, tandis que la modeste bourgeoisie d’un côté et quelques grandes familles de l’autre n’hésitaient pas à tout sacrifier, à tout donner, d’autres, qui sont riches, on le sait, ne se sont point fait scrupule de garder en même temps leur fortune et leurs dettes. » |