Lisbonne la ville blanche, revue et corrigée par le film noir.
Généralement quand on parle de Lisbonne c’est pour la qualifier de « ville blanche », surnom acquis à cause de la lumière qui baigne fréquemment ses façades. Après la nuit le retrousse de fond en comble.
Sombra, un dealer sorti de prison retrouve son quartier, Riboleira, le bidonville créole de la ville. Pas sur qu’il y soit mieux que derrière les barreaux : aucun de ses clients n’a de quoi lui rembourser les doses qu’il avait avancé et les caïds qui ont pris le pouvoir entretemps ne lui font pas vraiment confiance. Surtout quand un sac plein de cocaïne disparaît.
Le Lisbonne du film de Basil Da Cunha n’a rien à voir avec les chansons de Linda de Suza. Peut-être un peu plus avec le Fado, mais dans une version capverdienne. C’est dans cette communauté que se passe Après la nuit. D’abord pour une session de joutes verbales insensées entre marlous. Une vraie battle au coin d’un feu en séquence d’ouverture qui donne le ton : Lisbonne comme une cour des miracles en ruines, où la vie se négocie par la tchatche et éventuellement les flingues. Lisbonne, privée de lumière – le titre original (Ate ver la luz – « Jusqu’à la lumière » en français) est explicite, où tout n’est que pénombre, traversée ici et là par les lueurs d’un mage cracheur de feu. Lisbonne, ville moite, limite tropicale, où Sombra a pour confident un iguane.
Après la nuit, parle donc de contrastes. D’abord ceux de Basil Da Cunha, réalisateur au nom qui sonne portugais, alors qu’il est… Suisse. Une double identité qui s’insinue dans son film qui transforme une ville en terre étrangère, inconnue. Qui transforme la capitale d’un cinéma auteuriste nonchalant (Pedro Costa, Manoel de Oliveira, Joao Cesar Monteiro, sainte trinité portugaise révérée par les festivals et la presse arty du monde entier) en bouge de film noir.
Car Après la nuit s’étend aussi, dans une remarquable seconde partie, du côté du thriller hollywoodien à l’ancienne, celui où les tourments désespérés des personnages étaient enveloppés dans une esthétique renversante, sculptant les ombres et la lumière.
Da Cunha retrouve ce sens formaliste quand son film s’emballe, vire à la traque, la course-poursuite en bord de plage, devient aussi sec, tendu que le corps de Pedro Ferreira, rasta dealer qui a de moins en moins d’issue, de porte de sortie.
Après la nuit ne lâche cependant pas le morceau – mais comme tous les vrais films noirs- d’un cinéma social, politisé : Da Cunha filme un autre versant de l’Europe en crise, cette enclave aux racines africaines qui n’a quasiment plus le droit d’exister au grand jour, ce prolétariat immigré de la délinquance, prenant le pouvoir quand plus personne n’est dans les rues.
Da Cunha explore ce monde rarement vu au cinéma, explique ses règles entre accords verbaux, code d’honneur et rites semi-vaudou. Des capverdiens fauchés peuvent y trouver l’apparence de gangsters, un iguane devenir un dragon, l’hyper-réalisme se frotter à un vénéneux onirisme. Après la nuit est un film qui tangue, qui glisse, titube parfois avant de prendre possession de son territoire. Il n’y aura pas forcément de lumière au bout du tunnel, mais le voyage, hypnotique, jusqu’au bout de cette nuit est éclairant.
Après la nuit, en salles le 23 avril (et en avant-première en VOD du 9 au 23 avril sur les plateformes Orange, iTunes, FilmoTv)