Aujourd’hui sort leur premier album éponyme – l’occasion parfaite de faire le point.
©Valentin Boudet
Isaac Delusion sort aujourd’hui son premier album (par ici les commandes), deux ans après leurs premiers succès avec Cracki Records. On les a connus sur Nova avec « Midnight Sun », on les a reçus aux Nuits Zébrées, on a les suivis d’EP en EP. A l’occasion de la sortie de cet opus, retour avec Loïc, Jules, Bastien et Nico sur leur parcours.
Vos deux premiers EP sont sortis en 2012, qu’est-ce qui s’est passé depuis pour le groupe ?
L : Pas mal de concerts, pas mal de tournées – on a un peu voyagé grâce aux deux premiers EP et ça nous a permis de développer un background plus international, une autre façon de voir la musique. On a surtout vraiment évolué musicalement, on a rajouté deux membres aux groupes : Bastien, qui fait pleins d’instruments et Nico, qui est bassiste. On a bien muri entre temps.
J : On avait hésité à sortir un album à la place du deuxième EP parce qu’il y avait une mini attente, les gens en voulaient un peu plus. Mais très vite on a laissé tomber, parce qu’on avait besoin et envie de quelque chose de plus abouti, plus développé, plus produit.
Comment votre composition a-t-elle évoluée ?
L : A la base on composait avec nos ordinateurs, pour l’album on a pu s’acheter du matériel, par exemple des synthé analogiques. On a un peu découvert un autre monde – c’est là que notre côté électronique un peu froid a pris un couleur plus chaleureuse. En live notamment, c’est ce qu’on entend bien dans l’album. Dans notre génération, il y a énormément de compositeurs qui font tout chez eux, qui mixent leurs morceaux eux-mêmes. En fin de compte, ça permet d’avoir une réelle identité et un contrôle sur ton son.
En live, il n’y a pas de subterfuge, pas d’artifice.
Quelle est l’importance des live pour vous ? Est-ce que vous les concevez comme des espaces
d’expérimentation qui influencent le travail de composition ?
L : Le live, c’est pas la même démarche que d’être en studio, c’est une façon plus directe de se confronter à ses auditeurs. En studio, on peut transformer la musique comme on veut. En live, il n’y a pas de subterfuge, pas d’artifice. C’est vraiment savoir donner quelque chose, délivrer un message. Ca fait vachement progresser la façon dont tu vois la musique. Pour nous ça été l’occasion de tester des morceaux, de les adapter en studio par rapport à ce qui marche en live, ce qui accroche ou non.
Et c’est à partir du moment où on a fait des scènes un peu plus grosses qu’on est passés de 2 à 4. C’est une démarche pour aller vers quelque chose de plus énergique. Je pense qu’on a gagné en énergie et en dynamisme par rapport à ce qu’on faisait au début, qui était très linéaire et planant.
C’est le titre « Midnight Sun » qui a vous a révélés au public. Depuis, on l’a beaucoup entendu, notamment sur Radio Nova. Comment fait-on pour ne pas se lasser de ses propres tubes ?
J : Justement, pour ne pas se lasser, il faut les jouer en live. Au bout d’un moment tu peux plus les écouter sur CD parce qu’ils sont figés, tout le temps pareils. Tu connais chaque seconde du morceau. Mais en live, ça change, le son est toujours différent. Surtout « Midnight Sun » on l’a beaucoup réarrangée pour le live, c’est un bon exemple.
Est-ce que l’on souffre d’un syndrome post-partum quand on sort son premier album ?
J : On a enregistré l’album l’été dernier, donc oui l’album on a eu le temps de le digérer. Ca fait douter d’enregistrer quelque chose comme ça, et de le sortir un an après, parce que nos vies ont évolué. Si on devait refaire un album aujourd’hui, il n’aurait aucun rapport.
Vu qu’il n’est pas sorti, on peut pas savoir ce que les gens en pense, ça laisse le temps de se retourner le crâne. Il y a plein de morceaux de l’album qu’on joue en live depuis longtemps, mais il y en a quelques uns qu’on garde pour la sortie de l’album et pour la Release Party – donc on ne sait pas encore.
B : Et on a hâte d’attaquer les live du coup !
Sur l’album, on ne retrouve que des titres en anglais – pourquoi ? Est-ce qu’on est plus libres quand on chante dans une autre langue ?
L : J’écris les paroles et j’estime que notre style de musique et l’instrumentation collent beaucoup mieux avec des paroles en anglais. Je suis influencé par des groupes anglais ou américains, c’est dans cet univers que j’ai grandi et que j’aimerai évoluer. Donc c’est naturel. Avec notre style de musique, c’est plus musical. Mais j’ai un grand mérite pour ceux qui arrive à mélanger l’électronique avec le français de façon efficace. C’est pas donné à tout le monde, le français c’est un approche différente de l’écriture, qui n’a aucun rapport avec les paroles anglaises qui sont plus chantées, plus musicales.
J’ai comme projet de tenter des paroles en français sur un style de musique électronique. Je pense qu’il y a moyen de s’adapter, c’est une autre démarche d’appréhender la musique. Mais ça me tente, j’y viendrai un jour.
Dans le processus de composition d’un album, qu’est-ce qui est le plus excitant ? La création, la mise en forme, le mixage, la présentation au public ?
L : La composition, voir naître une œuvre ou un morceau petit à petit. Ce qui est agréable, c’est de passer du stade où on le fait dans nos chambres à l’arrache, avec les moyens du bord, au stade où on peut se voir, y réfléchir à plusieurs. En reproduisant en studio de façon plus propre, c’est là qu’il y a une âme qui arrive et la composition c’est quelque chose qu’on adore tous. On est tous très spontanés, on aime faire spontanément, comme un lego qu’on construit au fur et à mesure.
Pour les deux premiers EP ça circulait entre Jules et moi, de façon assez intimiste. Pour l’album on s’est ouverts, on a tous apporté nos idées, on a mélangé, et ça a donné ça. On a pas restreint nos idées aux maquettes de deux personnes. C’est un multi album.
J : C’est ça qui était intéressant à l’enregistrement, pour la compo des maquettes on était souvent à deux. C’est à l’enregistrement qu’il y a eu un travail à quatre et que ça a pris forme. On a vu naître quelque chose qu’on ne connaissait pas. Voir naître un son qu’on ne connaissait pas, avec les idées de chacun.
C’est facile de composer à 4 ?
L : dans notre cas c’est facile parce qu’on va tous dans les mêmes directions, on a la même conception de la musique. Ca peut être compliqué, mais entre nous les rôles sont bien établis.
Dans l’album comme dans les précédents EP on retrouve ce qui fait l’originalité du groupe : le jeu sur les contrastes entre la voix, les instrus … Est-ce que c’est ça la recette miracle, le fait que vous ayez chacun vos influences ?
J : C’est intéressant dans le sens où ça fait une musique qui ressemble moins à une autre. Le fait de mélanger fait quelque chose d’hybride. C’est génial de pouvoir avoir plusieurs éléments qu’on aime dans différentes musiques et de les rassembler, de jouer avec tout en les respectant.
L : C’est ce qui a crée la richesse du groupe à la base : le mélange de beat un peu hip hop de Jules et mon phrasé un peu plus planant, folk. C’était ça l’identité du groupe à l’origine. Et on a rajouté encore plus d’ingrédients, d’individualités. C’est ce qui fait la richesse du groupe maintenant. Même sur chaque morceau de l’album, il y a parfois certaines individualités qui prennent le dessus.
Elliott Smith — Between The Bars (Isaac Delusion cover) by Isaac Delusion
Construire une identité sonore plus restreinte.
On lit beaucoup de choses sur les musiciens qui vous ont influencés et qui vous ont fait aimer la musique mais aujourd’hui, est-ce que la jeune scène montante vous influence ?
L : Evidemment, pour être un musicien actuel et moderne faut être une éponge, s’imprégner de ce qui sort tous les jours. Mais je vais être incapable de te répondre, parce que j’ai trop d’influences. On est tous curieux, fouineurs, il y a énormément de choses qui passent par les oreilles et qui rentrent dans notre musicalité. Peut être Connan Mockasin, avec ce son gluant, poisseux, tout dans la retenue. Ca me donne envie de partir sur quelque chose de plus minimaliste, peut être moins multi. Notre album a un côté vachement varié, chaque morceau est très différent, c’est un feu d’artifice de directions. Et maintenant on a envie de construire une identité sonore plus restreinte.
J : Réussir à avoir de la variété et du nouveau dans un type de son, chercher la variété dans quelque chose de plus cohérent. Quand tu pars dans plein de trucs différents, c’est plus simple de varier. Mais faire un bon album avec un son très particulier, c’est moins simple.
Comment fait-on un album cohérent ?
J : A la base on l’a pas réfléchi comme un album, on retrouve pleins de sons qu’on avait déjà maquettés et composés. Du coup je crois qu’il n’y a pas cette cohérence – après il y a des choses qui sont venues d’un synthé qu’on a acheté, et qui donne une certaine couleur. Mais on n’a pas cherché une unité particulière sonore.
L : Cet album faut le voir comme une recherche, une découverte, une exploration musicale. Pas comme quelque chose de très mur et très réfléchi, c’est ça qui fait son charme. Pour la suite on va peut être essayer d’avoir une direction un peu plus générale.
Est-ce que vous pensez qu’il est encore possible de créer des albums concepts, que l’on écoute de bout en bout et qui racontent une histoire ?
J : Moi j’aimerais. C’est un des exercices les plus durs, ça se cherche pas. Le jour où ça vient c’est une évidence, mais ça marche pas en se disant « viens on fait un concept ». Ca se murit, ça arrive rarement avec un premier album.
Tous vos live sont accompagnés d’une projection : quelle importance ça a pour vous de coupler votre musique à des clips visuels ?
J : on aime l’image, on aime le cinéma. Si on peut l’intégrer dans notre musique, c’est parfait. En live, les deux se servent : la musique sert à l’image, l’image sert à la musique. Et ça crée un lien, une esthétique qui paraît presque évidente.
L : on a un langage artistique avec Mateusz Bialecki qui fait nos visuels en live et presque tous nos clips. On se comprend. Lui il a une obsession pour les vieux films des années 50, et ça donne un côté décalé par rapport à notre musique qui peut avoir un certain ton moderne. Mais le côté rétro colle bien, ça donne quelque chose de poétique. Un de mes rêves ce serait de composer de la musique pour le cinéma.
Vous aimeriez écrire la B-O d’un film ?
L : moi une de mes BO préférées c’est celle de Eternal Sunshine, des B-O il y en a des centaines à citer : celles de Wong Kar Wai, je suis aussi très fan du compositeur de Myazaki. J’aime bien quand c’est orchestral. Her – la BO de Arcade Fire est juste incroyable, ça doit être génial de poser de la musique sur de belles images. Je pense que le but du jeu c’est d’être juste par rapport à l’image, pas trop imposer son style mais en gardant son aura de musicien. Je pense que tout le groupe aimerait ça. A bon entendeur…
J : D’ailleurs les BO ont de plus en plus une vie après le film, ça devient de bonnes sélections.
Notre musique c’est une sorte de peinture.
Sur cet album, on retrouve encore la symbolique de la lumière, de la nuit et du jour. D’où vient-elle ?
L : Ca vient de « Midnight Sun », qui s’écoute comme une carte postale d’une balade dans un pays scandinave où il ne fait jamais vraiment nuit. Depuis on a toujours un rapport avec la lumière assez présent, c’est quelque chose qu’on ressent dans l’album entre des phases plus sombres, d’autres ensoleillées, éclairées. C’est notre façon de composer – notre musique c’est une sorte de peinture.
Qui est votre fan base ? – est-ce qu’on remarque qu’on a du succès à partir du moment où l’on ne reconnaît pas les gens dans le public ?
B : beaucoup de curieux, en général. J : rapidement, on a fait des concerts l’où on ne connaissait plus tout le monde.
L : Moi j’ai eu d’autres groupes, et on débarquait dans des bars pour jouer à l’improviste. Et de plus en plus pendant nos concerts, les gens ne parlent pas, ils sont hyper respectueux. C’est un immense bonheur d’avoir des gens qui t’écoutent, le pire pour un musicien c’est d’avoir à conquérir la salle. Quand les gens te respectent, c’est vraiment touchant, c’est là qu’on voit qu’il y a des gens qui apprécient la musique – quand on arrive à obtenir l’attention. On a un public assez varié, il y a un peu de tout.
La vraie question : plutôt Rohff ou Booba ?
J : Booba, pour son passé.
B : Non Rohff, là dessus tu n’auras pas de réponse définitive.
L : j’aimerais une fusion entre Rohff et Booba. Et avec La Fouine en plus.
Isaac Delusion va silloner la France cet été, ne les loupez pas ! On les retrouvera notamment au Macki Festival et en attendant, ils seront en live à Nova, ce mercredi à 19h10 !
- 06 JUIN — VENEZIA MORE FESTIVAL // VENISE, ITALIE
- 07 JUIN — LE PLAN // RIS-ORANGIS
- 10 JUIN — ALBUM RELEASE PARTY // GAÎTÉ LYRIQUE, PARIS
- 14 JUIN — FESTIVAL VIE SAUVAGE // BOURG
- 28 JUIN — FESTIVAL BÊTES DE SCÈNE // MULHOUSE
- 5&6 JUILLET — MACKI MUSIC FESTIVAL // PARIS
- 09 AOUT — PANTIERO FESTIVAL // CANNES