Foutez la paix au “ Fils de…”
Il était une fois le string du pseudonyme…Il faut dire qu’il ne cache pas grand chose Dan Fante, fils de John Fante, en donnant à son personnage de père tyrannique le nom de John Dante. On est malin, on fait facilement le lien.
Nous sommes dans la pièce aux accents hautement autobiographiques Don Giovanni qui vient de sortir dans un ouvrage de chez 13ème note. On l’y trouve suivie de Les Initiés, autre pièce brillante de l’écrivain californien, auteur également d’une tétralogie fameuse mettant en scène son alter ego Bruno Dante. Décidément, jouer à cache-cache avec Dan Fante devait être d’un ennui mortel.
Dan Fante, c’est un homme aux 70 ans imposants, aux petites lunettes rondes, et à la voix grave, devenu écrivain à 45 ans après avoir écumé la palette complète des professions intérim entre la Californie et New York dont il a fréquenté la fange et la frange. De chauffeur de Limousine à détective privé, il tente en vain d’échapper à une vocation familiale contrariée, dès son plus jeune âge, par le regard méprisant, peut-être jaloux, que son père porte sur ses prétentions littéraires.
Pourtant, les mots un jour jaillissent de la matière informe, violente et changeante du quotidien accumulé, et coulent sur 4 romans autobiographiques (Rien dans les poches (Chump Change), 1996, La Tête hors de l’eau (Mooch), 2001, En crachant du haut des buildings (Spitting Off Tall Buildings), 2001, Limousines blanches et blondes platine (86’d), 2010). Des romans fortement inspirés par Hubert Selby Jr et Charles Bukowski qu’il a eu la chance de fréquenter du temps de papa.
Les deux pièces Don Giovanni et Les Initiés voient le jour en 2005 dans une relative indifférence mais sous le regard admiratif d’une poignée de connaisseurs comme Patrice Carrer (directeur de 13ème note qui nous les offre pour la première fois traduites en français) ou comme le poète, romancier et critique Ben Pleasants. Tous deux signent d’ailleurs des préfaces remarquables qui dialoguent et se complètent (à ne pas sauter, croyez pas que je vous vois pas).
Mais revenons à nos Mozart, Don Giovanni est un huis clos familial dans la grande tradition du théâtre américain et baigné de références à la tragédie plus classique. Tennessee Williams et autres Shakespeare traînent leurs guêtres dans le coin en laissant des empreintes floues mais reconnaissables. La pièce s’ouvre sur Jonathan Dante, figure imposante sur le déclin, ancien jeune écrivain talentueux, intègre et fauché, vendu au dieu Hollywood et à ses avantages sonnants et trébuchants ; Papa Fante tout craché en somme. John est cloué sur un fauteuil par ses regrets, ses avaries financières et par un diabète qui le dévore peu à peu le condamnant à la cécité. Toute la famille se retrouve pour célébrer les 70 ans du patriarche dans son ranch un peu défraîchi de Malibu. Durant 24h, l’unité de temps classique ça se respecte, le père va tenter de contrôler avec violence et maladresse son petit univers qui se délite dans l’alcool mauvais.
Il y a là sa femme douce, constante, forte de sa solidité tranquille dans la tempête qui l’entoure et qui charrie des monceaux d’ordures sans sembler l’atteindre. Ressac d’injures et de rancoeurs qui n’épargnent pas ses deux fils ivrognes, Bruno, l’acteur à belle gueule, un addict au repenti récent et artificiel et Richard, l’ainé brillant, homosexuel, pianiste promis à un brillant avenir, devenu au désespoir de son père prof de sport dans un lycée dont il se fait renvoyer suite à une liaison avec un ancien élève. Lui aussi picole sec. Génération après génération, cette tendance à la boisson n’épargne personne, chez les Dante comme chez les Fante, version Italo-américaine de l’Assommoir. Dan porte d’ailleurs tatoué sur son bras, la date du décès de son grand frère Nick, mort d’une cirrhose à 55 ans.
Et, comme chez Zola, le déterminisme, que la tragédie appelle fatalité, trouve au mal le moyen de se frayer un chemin vers le futur. Agnès, la femme sexy et vindicative de Bruno, applique la maxime In Vino veritas en se saoulant copieusement tout au long de la pièce sous les yeux de sa fille discrète et à peine ado.
Dans le Don Giovanni de Fante, ça ne chante pas, ça gueule, ça boit, ça se déchire, ça grince, ça gicle comme lorsqu’on laisse enfin couler ce qui était bien trop canalisé. Les veines de l’hérédité tracée, s’ouvrent, se déchirent et envoient du sang, des larmes et des mots, des rires et du bourbon, par jets plus impressionnants qu’ils ne sont mortels, une blessure de théâtre…La plaie est béante, ouverte mais nettoyée et les chairs se recomposent, promettent d’un « je t’aime » final une guérison nantie d’une cicatrice nécessaire à la construction de l’identité.
Don Giovanni c’est l’enfer de Dante dans le cercle familial, un 10ème cercle contemporain, intime, baigné du soleil californien et d’un humour qui faisait grandement défaut à l’Italien original, un enfer sans capitale mais tout en peine, infligée ou subie, et où un pitbull édenté et toujours sanguinaire fait office de pauvre cerbère. La rédemption y est possible, on est à deux doigts de Scotch du purgatoire.
Dan Fante, Don Giovanni suivi de Les Initiés, 13ème note, mai 2013, 19.50€.