Quand le père de la musique électro-acoustique fait son festival.
A l’heure des transhumances estivales, Pierre Henry occupe le pavé parisien. Depuis le 14 juillet, et jusqu’au 19, il prend possession du Carreau du Temple parisien pour en faire « son » temple du son. Six soirées pour remonter le temps… et tutoyer le futur. Le titre : « Voyage à travers ma modernité ». Ce qui chez quiconque eût pu passer pour de l’auto-flagornerie est rien moins qu’une mise en perspective de plus de six décennies d’espiègleries musicales… tout-à-fait sérieuses.
A 87 ans, le papy sorcier père tutélaire de la galaxie électro, pilier de la musique contemporaine, trône devant ses machines, encerclé d’un imposant lego d’enceintes de toutes tailles. Autour de lui, assis sur le parquet, quelques centaines de paires d’oreilles. Certains, blafards, fraîchement sortis d’after, d’autres, joggers, retour du Bois de Vincennes, des ados fraichoux et des anciens venus en pèlerinage.
Sur son ring, au milieu de la salle, Pierre Henry salue, les mains croisées comme Mohamed Ali. Au programme de ce 1° jour, d’abord « Mosaïques », une demie heure de bruitages-collages urbains saupoudrés de cui cui d’oiseaux. Puis une relecture (mieux que remix), en fait des variations autour de ce thème très « BD », plein de peps qu’est « Psyché Rock », qui avait chamboulé la planète pop de 67, avec ses « chboob », ses « ouiirh » et ses « chploink ». Ses giclées de beat ramènent l’affaire au présent siècle. L’Apocalypse de Jean est décidément intemporelle.
Sur le parquet, on oscille, oh ! timidement, l’espace en impose et l’heure ne se prête pas à plus. Et puis le spectacle de ce petit bonhomme facétieux manipulant ses potards est tout simplement fascinant. C’est la paleo-french touch !
Flashback sur 1968, l’après mai, octobre, exactement. A l’époque, je suis toqué des Animals, des Stones, de Coltrane, l’Art Ensemble, Dylan, c’est pas incompatible. Et de Mao, mais c’est autre chose ! J’entends parler d’un concert marathon, oui, je connais vaguement Pierre Henry grâce aux Ballets de Béjart, mais au delà… Tout de même, 26 heures non stop pour jouer son intégrale, un gros culot.
Ca se passe à la… Gaîté Lyrique, plus de quatre décennies avant que le lieu ne devienne la tête de pont de la nébuleuse electro. Un théâtre à l’Italienne. J’ai suivi les recommandations de la prod, « venez avec votre sac de couchage ». Je m’installe au balcon, il est 21h, le bonhomme rondouillard paraît minus, vu de si haut. Il s’agite, parfois sautille derrière ses magnétos, ses machines et ses boutons, comme surpris de ce qu’il engendre. Dans le public, on s’échange des regards incrédules. Jamais entendu ça. On sort un moment, et quand on y retourne, il est toujours là, à bidouiller.
Je monte au dernier balcon, il est encore plus microscopique, normal. Je déploie mon sac de couchage, et tombe illico dans les limbes. Réveil en sursaut cinq heures plus tard. Ciel ! Pierre est… là, la visite continue dans ces espaces infinis de la musique. Bon, il est six heures, je roule le duvet et remonte tel un zombie le boulevard Sébastopol.
Quand je rentre à la maison, ma mère est debout :
-« D’où arrives tu, avec cette dégaine ? ». Certes, elle était férue de musique mais comment lui expliquer Pierre Henry, la Gaîté Lyrique, le sac de couchage et surtout les « chboob », les « ouiirh », les « chploink » ?
-« j’étais chez une copine, maman ». Pierre, une copine… qui m’a mis une sacrée claque. Et pour toujours.
Pierre Henry, Voyage à travers ma modernité, dans le cadre de Paris Quartiers d’Eté, tlj jusqu’au 19 juillet @ Carreau du Temple, 20h30.
Samedi 19/07, invité spécial Erik Truffaz
Infos http://www.carreaudutemple.eu/