Aujourd’hui en salles, « Computer Chess ».
Le mumblecore vous connaissez ? Normal, ce genre, équivalent pour le cinéma du Grunge pour la musique dans les années 90 n’a jamais vraiment traversé la frontière des festivals de cinéma américain pour hipsters.
A vrai dire on s’est très bien passé de ces films ultra-minimalistes, ultra-low budget et ultra-bavards. C’est même la base du Mumblecore : des personnages, généralement trentenaires, qui causent entre eux, voire grommellent des dialogues sur leur mal de vivre.
Jusqu’à ce que quelques spécimens aient réussi à franchir l’Atlantique, convainquent que ce cinéma là pouvait bâtir une passerelle entre le Woody Allen de Manhattan, le romantisme à la Rohmer et le naturalisme à la Pialat.
De nombreux cinéastes indépendants américains se sont jetés dans cette brèche. La génération de cinéastes et d’acteurs la plus prometteuse du moment ( les frères Duplass, Lena « Girls » Dunham, Greta « Frances Ha » Gerwig, Joe « Drinking buddies » Swanberg…) en est éclose, mais le précurseur officiel reste Andrew Bujalski.
Douze ans déjà que cet ancien d’Harvard s’est reconverti en réalisateur, mais c’est seulement aujourd’hui qu’il peut être découvert en France via la sortie simultanée de trois de ses films en DVD et de son dernier Computer chess, en salles.
Finalement ce n’est pas plus mal de faire connaissance avec ce cinéma comme ça: voir successivement Funny ha-ha, Mutual Appreciation et Beeswax, chroniques d’une génération post-estudiantine qui ne sait pas quoi faire de sa vie donnent à la fois une vision d’ensemble du Mumblecore mais aussi de son évolution. Y voir s’esquisser un regard de plus en plus paritaire – les rôles féminins sont parmi les plus incarnés du cinéma américain de ces dernières années- ou constater à quel point la liberté de ton et les sujets rejoignent celles des francs-tireurs du Nouvel Hollywood : on n’est jamais très loin, même si dans des versions plus lo-fi des beaux films existentialistes de Bob Rafelson ou dans la fibre d’un Cassavetes.
Computer Chess marque une nouvelle étape pour Bujalski. Les thèmes – l’instabilité personnelle, les communautés de pensée qui s’effritent, la friabilité de l’amitié sur le long terme…- restent, la forme à changé.
Cette histoire de geeks réunis pour le premier championnat d’échecs mettant en compétition au début des années 80 un ordinateur face à des joueurs humains a des effets de voyage dans le temps. Une sorte de Retour vers le futur par le Jarmusch de Stranger than paradise.
Computer chess rajeunit le mumblecore : ces protagonistes ne sont pas au bord de la trentaine, mais ont dix ans de moins. De quoi aller sur le terrain de la teenage comedy. Car Computer chess sous ses airs arty est drôle. Au sens décalé du terme.
Lorsqu’on lui demande pourquoi il se trouve dans cet hôtel californien, un des personnages répond « Pour voir la fin du monde« . Quelque part, il n’a pas tort : Computer chess se situe à la période où tout va changer. Internet n’est pas encore là, mais les ordinateurs sont sur le point d’entrer dans les foyers. Mark Zuckerberg n’est pas encore né, mais l’informatique devient une sorte de réseau social pour les ados qui pratiquent le Basic.
Computer chess est aussi à sa manière un film de S-F. Les programmateurs des machines sont presque moins humains qu’elles. L’une des bécanes, TSAR 3.0 aurait même des propensions au suicide là où son ingénieur est lui catatonique. Bujalski fait même déjà des clins d’oeil aux futurs instincts grégaires de la génération internaute (une invasion de chats dans l’hôtel, évident lien avec les lolcats qui prolifèrent aujourd’hui sur Youtube).
Malgré tout, Computer chess ne capitule pas devant l’avènement de l’ère des machines. Bujalski n’a de cesse de pister les dysfonctionnements chez les humains, ce qui les rend faillibles, donc attachants. Voire émouvants quand ces geeks se retrouvent désemparés comme des puceaux devant la seule fille présente au championnat.
Collection de micro-évènements bizarres ou tordants, observations finaudes des rapports humains et de leurs bugs ordinaires… en questionnant autant l’âme des gens que des ordinateurs (la toute dernière scène est particulièrement éloquente sur ce point), Computer chess laisse entendre que la partie d’échecs entre nous et l’intelligence artificielle est loin d’être terminée.
Computer chess. En salles le 9 avril.
La collection Mumblecore (Funny ha-ha, Mutual Appreciation, Beeswax) en DVD, éditions Contre-allée.