Sagesse cool et cuisine sadique
Je m’explique : le dernier roman de Patrick Rambaud raconte la vie de Tchouang Tseu ( ZHUANG ZHOU ), grand sage du 4eme siècle avant notre ère, et , comme son grand roman napoléonien( La bataille : Prix Goncourt 1997 ). Les détails y sont d’une précision maniaque.
Quand au style cristallin de l’auteur, rien de trop : il n’y a pas à ajouter ou enlever, tant ses formules sont claires, nettes, parfaitement descriptives (il n’a pas été un des grands « dégraisseurs » du magazine ACTUEL pour rien… et ses chroniques littéraires ( 1970-75) étaient écrites sous le pseudonyme de HYMA LA HYENE, une sorte de vieux sage tibétain…).
Sa passion pour Tchouang Tseu, le sage, le Taoiste, le gourou drôle et porté sur l’oisiveté la plus totale, remonte à loin. La philosophie chinoise dure mais cool, sérieuse mais drôle, logique mais intuitive, spartiate mais sensuelle, efficace mais poétique lui correspond parfaitement .
Ce roman de 250 pages environ, fait d’épisodes du mystérieux Zhouang Zhou tente de retracer aussi, ce que furent les cours des palais et la vie de cette Chine en gestation, dans la lointaine antiquité…
Surprise : ils étaient déjà si organisés, cultivés, raffinés, codés et spécialisés… que ces grands ancêtres chinois nous laissent pantois !
En Europe, 400 ans avant notre ère, nous étions des hommes des bois.
Quand à Zhuang Zhou, il serait l’auteur du ZHUANGZI, grand texte classique et essentiel du Taoisme chinois. Et c’est Lao Tseu ( LAO ZI) qui, au 6 eme siècle avant notre ère, serait le père fondateur de ce même TAOISME (Tao Te King=Livre de la Voie et de la Vertu).
Je ne me risquerai pas à vous expliquer ce qu’est le TAO, puisque même les disciples de Zhuang n’y arrive pas, après des années de travail, et que Zhouang y réfléchit encore, 2 siècles après Lao Zi.
Sachez que le TAO (La VOIE), revue et corrigée par Tchouang Tseu, serait un chemin de sagesse fait de NON AGIR, de FLUIDITE, de Lâcher-prise devant l’inutilité des actes, des gouvernements, de la science, du progrès, des lois et des rituels si chers aux anciens chinois …
Cette radicalité de Zhuang lui est propre, et sa bonhommie d’apparence négative, refusant toute modernisation, technique, intervention sur la nature et les peuples (même la culture ! ) reste révolutionnaire.
L’auteur nous promène dans la vie et les déboires de ce fils de fonctionnaire, qui refusera d’être premier ministre pour l’ empereur, tant il se méfiait des honneurs, des devoirs, de la diplomatie, des courtisans…
La liste est longue de ses refus, mais en bon contemplatif, il aime le vin et les femmes à petites doses, et Patrick Rambaud , en lyonnais gourmet, décrit la gourmandise, et les idées chinoises pour raffiner les mets et leur préparation minutieuse.
La grenouille qui s’engraisse à l’intérieur de la noix de coco, ou les petits pâtés de foie humain, ne dépareraient pas dans les grandes cuisines !
Tous ceux qui ont voyagé en Asie ont entendu parler de ces recettes , que je nomme « sadiques » : animaux que l’on mange vivants, comme la cervelle de singe directement dans la boite crânienne, et autres crustacés et poissons « saisis» au feu, afin qu’ils bougent encore dans nos assiettes (nos huitres !).
Il y a 25 siècles, Rambaud n’omet pas de nous dire que dans le même temps, le peuple se contentait de soupe d’orties et de bouillie de graines
L’auteur enfin, habile pasticheur (Duras, Roland Barthes) et psychologue inattendu dans ses parodies (la cour de Sarkozy= Nicolas 1er …), ne se prive pas non plus de nous raconter ces favorites, concubines et autres courtisanes capricieuses, vicieuses et décadentes, dont Octave Mirbeau ou Lucien Bodard avait lancé la mode, dans un espèce de théâtre de la cruauté chinoise.
Et décidément, ça continue, les français décrivent bien la décadence… On se demande pourquoi ?
LE MAITRE de Patrick Rambaud. Grasset éditions ; 130 pages . 19 euros .. En librairie le 3 janvier 2015