A quoi rêvaient les jeunes palestiniens réfugiés en Syrie avant que la guerre n’éclate?
C’est quoi Yarmouk ? Un camp de réfugiés palestiniens à quelques encolures de Damas. Ou plutôt c’était: le docu d’Axel Salvatori-Sinz y a suivi de 2009 à 2011 Ala’a, Hassan, Tasneem, Samer et Waed. Une bande qui vivent la même post-adolescence que n’importe qui dans le monde : des liens très forts avec ses potes mais aussi les incertitudes du lendemain. Sauf qu’ils vivent dans un coin particulier de la planète.
Ces cinq « chebabs » (vu d’ici, on dit « djeun’s ») zonent dans ce camp, construction provisoire qui a pris le temps de devenir définitif, les nouveaux arrivages de réfugiés tiennent les murs. A force l’endroit est devenu une Little Palestine, où Ala’a et les autres ont pris leurs marques.
Dans la Syrie actuelle, soit le pays le plus sensible du moment, Salvatori-Sinz filme la vie dans ce qu’elle a de plus quotidien. Ici on cause de tout sauf de politique, la bande des Chebabs de Yarmouk n’a pas envie de faire la guerre mais de faire des films ou du théâtre.
A l’époque du tournage, la Syrie n’était pas encore à l’heure de la guerre civile et du bordel de la realpolitik, mais déjà bien sous le joug de Bachar-El-Assad. Le seul truc qui différencie les chebabs du réalisateur, qui est apparemment plus ou moins du même âge, c’est quelques bouts papiers: un passeport. Le petit livret qui fait qu’un occidental est libre de circuler, là où les réfugiés palestiniens sont coincés.
Ala’a, Hassan, Tasneem, Samer et Waed rêvent de se barrer dans un pays où ils n’auraient pas à subir les interdits culturels de la censure, mais leur seul horizon est le service militaire. Et en même temps, s’ils arrivaient à fuir ailleurs, est-ce qu’ils se sentiraient enfin chez eux ? Rien n’est moins sur.
Les chebabs de Yarmouk est un film sur ses apatrides qui ne savent plus trop où aller puisqu’ils ont fini s’adapter à ce sort. Ou parce que la vie dans cette enclave finirait presque par avoir le confort du repli sur soi. Ainsi sur les toits, la bande fait et refait le monde, entre deux pétards, s’enivrant de leurs volutes tandis que le chaos gronde aux portes.
Ils sont extrêmement attachants, ces chebabs dans leur douceur de vivre éphémère. Pour un peu, on dirait les ragazzis italiens dont Fellini ou Pasolini filmait l’indolence il y a une cinquantaine d’années. Mais on est désormais en 2015, et ce qui rend émouvant ce docu est hors-champ : la fin du film commence à sonner le glas qui résonne depuis quatre ans dans les médias, le peuple syrien commence à se soulever et va se faire massacrer.
Aujourd’hui Yarmouk est un champ de ruines, une dizaine de milliers de palestiniens y (sur)vivraient encore. Les immeubles filmés par Salvatori-Sinz ont été réduits en poussières, certains membres de la bande sont morts, dégâts collatéraux ou torturés par l’armée. D’autres ont pu fuir, au Liban, en Sicile ou au Chili.
Les images des Chebabs de Yarmouk font désormais office d’archives. Celles d’un pays, mais aussi celles d’une jeunesse qui se réchauffait malgré tout autour de la flamme de l’espoir de lendemains meilleurs.
Voir ce film est une manière de continuer à l’entretenir.
En salles le 18 mars.