« I aimed at the public’s heart, and by accident I hit it in the stomach. »
On le saura Hobbes , « L’homme est un loup pour l’homme », mais au début du XXème siècle, à l’heure de la révolution industrielle, et du travail à la chaine, en plein essor du capitalisme triomphant, l’homme est un boeuf d’abattoir pour l’homme.
Dans La Jungle d’Upton sinclair, on suit la famille d’immigrés du vigoureux, vaillant et confiant Jurgis, attirée par la promesse d’une vie meilleure au nouveau monde. Nous sommes au début du siècle, et tous ont quitté leur campagne lituanienne, sorte d’éden rural et démuni. Trois générations se retrouvent donc à Chicago, dans l’immense quartier des abattoirs aux mains des trusts de la viande. Au départ impressionnés et captivés par la puissance de la machine humaine en marche, son efficacité redoutable, sa modernité quasi surnaturelle, tous vont vite déchanter et troquer la perspective d’une vie meilleure pour le simple espoir de survivre.
Les descriptions d’Upton Sinclair y sont celles d’un Zola du nouveau monde, même sens de la personnification des éléments urbains qui broient et dévorent l’homme encore vivant, même réification de l’homme maillon, de l’homme écrasé par son statut social, enchainé au boulet de son ignorance, même rouages implacables de la misère et de la destruction. Seulement ici, on oublie la fausse froideur du naturalisme et Jungle bouillonne d’indignation, coupe, tranche dans les injustices. Un roman d’initiation américaine, où seul le plus fort devrait s’en sortir mais où personne ne peut s’en sortir seul, à l’image d’un socialisme grandissant et d’un syndicalisme naissant.
De temps à autre, cet étouffant déterminisme respire de brefs et magnifiques instants de liberté que seuls les évènements les plus dramatiques permettent, une liberté désespérée mais enivrante de beauté où Upton Sinclair sort de l’engagement pour s’inscrire résolument dans la littérature.
Jungle comme, par la suite, Oil sur l’exploitation du pétrole sorti en 1927 et censuré immédiatement (There Will be Blood au cinéma ndrl), auront, tout fictionnel qu’ils semblent, un impact déterminant sur la réalité des conditions de travail au US.
Nous sommes en 1906, Upton Sinclair écrit ce roman, il est alors un jeune journaliste socialiste précaire, correspondant de guerre à Cuba. Les description extrêmement réalistes de la corruption, de l’hygiène, des conditions du travailleur, des différentes vagues d’immigrations en fonction des grèves et des rebellions, de plus en plus pauvres, de plus en plus exploitées : des irlandais aux lituaniens des lituaniens au polonais puis aux esclaves affranchis du sud; toute cette somme d’anecdotes et de récits portée par une plume épique fait scandale lors de la sortie du roman.
Upton Sinclair est d’abord menacé de mort par les cartels de la viande puis porté par un mécontentement populaire sans précédent jusqu’à la maison blanche où il est reçu à contre coeur par Roosevelt qui le qualifiait volontiers de muckrakers. Le président, après vérification des faits, n’a pourtant d’autre choix que d’amorcer toute une série de réformes législatives qui changèrent le visage de l’exploitation agroalimentaire aux Etats unis et dans le monde, dont la création de la Federal Meat Inspection Act, ancêtre de la Food and Drug administration.
Proche des milieux progressistes jusqu’à sa mort, en 1968, Upton Sinclair qui comptait parmi ses amis Charlie Chaplin, George Bernard Shaw, Jack London ou Albert Einstein avec lequel il passait de longues heures à jouer du violon, a, suite au retentissement du roman, utilisé ses droits d’auteurs pour fonder la Helicon home Colony, communauté agricole et utopique ravagée par les flammes alors qu’Upton enquêtait sur le trust de l’acier.
A l’occasion de la sortie du documentaire militant de Daniel Mermet et Olivier Azam : « Howard Zinn : Un Histoire populaire Américaine », il convient de s’offrir ce classique de l’engagement et, avant tout, de la littérature américaine de haut vol.
La Jungle, Upton Sinclair, Le livre de poche, 528 pages, 8.10 euros