Billie Holiday l’insaisissable !
Etonnant portrait que celui que sort Rivage Rouge, raconté à plusieurs voix au début des seventies, par les derniers survivants, témoins de la vie de cette LADY DAY, cette icône bluesy..
Cette biographie a en fait 2 auteurs : LINDA KUEHL – qui a enregistré toutes ces personnes entre 1971 et 72, des témoignages brûlants, vibrants, violents. Elle a travaillé jusqu’en 1977 sur cette vie trop touffue. Mais l’éditeur n’était pas satisfait. En 1979, elle a sauté par la fenêtre de son hôtel, après un concert de COUNT BASIE.
Trente ans plus tard, JULIA BLACKBURN a repris les bandes et les notes, et a sorti de cette jungle non seulement un portrait mosaique de l’énigmatique BILLIE, mais aussi de toute la faune qui l’entourait à New York… De quoi perdre tout a priori sur la légende.
D’abord appelée Eleanor De Viese puis Madge Fagan, née en 1915, la petite va connaître différents foyers, institutions et même maisons pour jeunesse à la dérive.. Puis elle vivra dans de petits bordels privés !
Très vite chanteuse, sa peau claire , sa grande taille, son charme trouble de fêtarde, tantôt réservée, tantôt déchainée en font une branchée, originale, culottée et recherchée… avant 1935. Billie va donc vivre dans un ghetto permissif, où tout est accessible : alcools, drogues, hommes et femmes, et elle se produit modestement dans de petits speakeasy, elle fait partie du « IN CROWD », les bandes à la mode. Blancs et mafieux tournent autour de ces aventuriers.
Elle va devenir une chanteuse à la mode, mais les temps vont changer.
Herbe, coke, héro qui circulaient… deviennent interdits. La police s’organise, multiplie les indics, et après la guerre, c’est la chasse aux sorcières : communistes, truands, artistes dérivants, drogués, et les noirs des clubs sont au milieu de ces faunes parallèles. Billie Holiday devient une des figures de ce monde underground, permissif et culottée. Ses addictions (herbe, héroïne et alcool) en font une diva sulfureuse du monde de la nuit.
Ses agents sont-ils ses amants, ses dealers, des indics ? Les rumeurs les plus folles naissent dès qu’elle apparaît, et la police va s’acharner sur cette étoile noire, scandaleuse et dont les chansons font débat. Dans « Strange fruit », elle attaque indirectement la discrimination du sud, les lynchages, le Ku Klux Klan… Et des policiers zélés, en mal d’avancement ou de publicité, vont la traquer, lui enlever ses cartes de travail, se servir d’elle pour faire parler d’eux.
Pourtant en matière d’héroine Bille n’est qu’une « chippy » (une petite sniffeuse), en matière de coke un « Snorting horse » (cheval renifleur), mais en marijuana et alcool elle est une grande accoutumée depuis sa jeunesse. Et tout réuni, cela mange ses cachets de chanteuse à succès.
L’argent, un peu de réussite (elle a chanté avec Count Basie et Duke Ellington, dans les plus beaux endroits de New York), son goût pour la fête et ce caractère bipolaire de fêtarde ET de dépressive alternée, en font un personnage qui fascine, auréolée de mystère. On lui invente débauches et dérapages, train de vie imaginaire, quantité de drogues exagérées… et tout un public jaloux ou raciste se délecte des malheurs de la diva, libre et désobéissante, entourée de gangsters.
En réalité, elle a gardé sa fraicheur, de vieux amis parlent ainsi de sa naïveté, d’une fille volubile toujours prête à rire et à balancer des vannes grivoises, avec une voix voilée lui donnant un charme irrésistible. Dans ce livre de témoignages, des dizaines d’anecdotes tentent de cerner cette femme inclassable, au talent encombrant, si originale et changeante… Tous sont fascinés par elle : qu’ils soient blancs, straights, ou noirs et vivant en marge, riches ou à la recherche d’expédients.
Elle a sans doute été une sorte d’âme, jazzy, bluesy, de l’époque dorée de Harlem, Chicago, L.A. ou San Francisco, en pleine éclosion des clubs dans les années 40. Recherchée par les plus grands comme LESTER YOUNG, elle continuait de douter. Devenue la cible de toutes les convoitises, elle a amorti le choc avec un peu toutes les substances, y compris humaines.
Trop belle, trop sexy, trop libre… et en prime ultra diversifiée et imprévisible, avec un instinct musical, une fibre unique, tout reste à découvrir en elle.
LADY IN SATIN – Billie Holiday. Portrait d’une diva par ses intimes . Julia Blackburn . 330 pages . 22 euros