« Oxymore ambulant », la femme-jaguar aux 80 printemps publie « Paroles d’évangile », collection de « bulles » papoues en forme d’évasion discale.
Que savons-nous de Brigitte Fontaine ? De cette « pythie sympathique, parfois sans pitié, qui déclame vérités et absurdités avec la majesté d’une diva lointaine, l’innocence d’une gamine babillant dans un torrent de roses ou la fragilité d’une vieille agonisant dans les flammes d’un bûcher », comme l’a très bien écrit Benoît Mouchart dans la précieuse biographie qu’il consacre à la femme-jaguar, Intérieur / extérieur, publié au Castor Astral (2011) ? Se souvient-elle, elle, de ce cours particulier sur Rimbaud qu’elle nous délivra, voici pile un an, dans cette émission ? La revoilà, proche de ses 80 printemps, qui publie aux éditions du Tripode Paroles d’évangiles, collection dada-zazou très spirituelle de « bulles » papoues, ramassis rigolard-énervé de textes courts en forme d’évasion discale, ornée en couverture d’une abeille bleue peinte par Enki Bilal – un ouvrage, souligne-t-elle, « brodé à la main par une michetonneuse planétaire jamais devenue adulte, vulgaire lumpen SDF, femme de lettres bretonne et fière de l’être ».
D’où l’impératif de la revoir, une heure durant, pour parler dans le désordre le plus complet du monologue de Lady MacBeth enregistré dans la langue de Shakespeare avec Sonic Youth, toujours inédit depuis 2001 ; de son rôle de « Diogénie » dans le prochain film de Gustave Kervern et Benoît Delépine, Mords-les !, tourné à Morlaix, sa ville natale ; de son amour longue durée avec Areski Belkacem, compagnon-compositeur qui l’accompagne sur scène, sur disque et dans la vie depuis 1969 ; de sa haine du machisme infect de Montherlant ; de romans noirs et de whisky lampé en douce. « Chaque fois que je joue, c’est la panique. Je crois que mes chansons sont proches de l’incendie, la destruction, la bombe. Le tour de chant idéal, ce serait un grand feu brûlant, très gai et très triste, tendre et méchant. » Soufflons sur les braises fabuleuses de la Fontaine.
Bonsoir, Brigitte Fontaine.
Brigitte Fontaine : Bonjour Richard.
Je peux vous appeler Bridinette ? La dernière fois qu’on s’est vu, vous m’avez autorisé à vous appeler Bridinette, le nom de votre enfance, du côté de Morlay.
Brigitte Fontaine : C’était un livre que j’adorais quand j’avais dix ans, qui s’appelait Bridinette (de Charles Vildrac). Elle s’appelait Brigitte mais tout le monde l’appelait Bridinette. (Elle manifeste une légère indisposition vocale.) Je parle mal car j’ai du Valium entre les dents.
Pourquoi vous avez du Valium entre les dents ?
Brigitte Fontaine : Parce que le temps orageux me rend folle. Folle de peur avant l’orage. J’aimerais mieux qu’il éclate, ça serait comme un feu d’artifice.
Est-ce qu’on peut parler de vous à travers l’écriture et vos livres favoris ? Pour cela, j’aimerais m’appuyer sur l’excellente biographie de Benoît Mouchart…
Brigitte Fontaine : Ce n’est pas une biographie mon vieux, c’est une monographie. Il parle de mon travail et non pas de ma vie. Il ne se permettrait pas, et je ne lui aurais pas permis. Benoît est devenu un grand ami, que j’adore comme mon baigneur, que j’embrassais tout le temps quand j’étais toute petite.
La nuit, je rampais vers le bar de mon père et je lapais une goutte de whisky et… horreur ! Je trouvais ça très dégueulasse.
… Cet ouvrage s’intitule Intérieur/extérieur, disponible aux éditions Le Castor Astral, et il est consacré à vos « bonnes œuvres« . Il est tout à fait bien documenté, habilement écrit et on y trouve une somme d’informations remarquables.
Brigitte Fontaine : Benoît Mouchart, que j’appelle « vieux lapin », connaît mes bonnes œuvres mieux que moi. Il connaît tout, tout, tout. Il a une mémoire exceptionnelle, acrobatique. Il est fabuleux.
Dans son livre, on apprend que quand vous étiez jeune fille, il vous arrivait de lire aussi bien Lewis Carroll que la Série Noire, et notamment les héros de Peter Cheyney ou James Hadley Chase, qui boivent sans arrêt du whisky.
Brigitte Fontaine : J’ai un souvenir de parfum de whisky. Je n’aimais pas ça du tout, mais je trouvais ça très chic. La nuit, je rampais vers le bar de mon père et je lapais une goutte de whisky et… horreur ! Je trouvais ça très dégueulasse.
Le polar et les romans policiers, c’est quelque chose que vous avez re-fréquenté par la suite ou il s’agit juste d’une passion d’enfance ?
Brigitte Fontaine : Non non, j’ai re-fréquenté. Et j’en ai fait un moi-même, qui s’appelle Les hommes préfèrent les hommes (2014).
Je ne voulais pas être actrice mais je savais que je le serai.
Ce que j’ai également appris à travers l’ouvrage de Benoît Mouchart, c’est que vos parents vous ont transmis un amour pour la comédie.
Brigitte Fontaine : Ils ne m’ont rien appris du tout ! Ils étaient agréables et sympathiques comme tout, mais je crois qu’ils ne m’ont rien transmis. Simplement, j’aimais le théâtre par-dessus tout. Et il se trouve qu’ils en faisaient en amateur et ils étaient, je crois, très bons. Le premier texte que j’ai interprété, c’était avec eux. Ils avaient besoin d’un enfant et ils m’ont prise.
Qu’est-ce qui vous plaisait dans l’idée d’être sur scène pour jouer ?
Brigitte Fontaine : D’abord, le jeu. Et puis surtout, ça n’est pas que je voulais être actrice, mais je savais que je le serai. J’étais sûre ainsi, qu’il se passerait quelque chose chaque soir. Pour que la vie soit plus intense, amusante, goûteuse et savoureuse. Electrique.
À quel moment à peu près avez-vous commencé à écrire des fictions ?
Brigitte Fontaine : À 9 ans. C’était des espèces de bandes dessinées, avec des dessins, des textes et des photos que je collais dans un cahier. J’en sais foutre-rien de quoi ça parlait, mon gars. Mes parents m’avaient inscrite à la fac et donc pour me faire de la thune, je donnais des cours d’anglais à des filles dans un couvent. Je leur improvisais des textes à partir des mots qu’elles ne connaissaient pas. Ça doit être comme ça que j’ai commencé à écrire.
Dans ces moments de jeunesse, j’apprends aussi que vous lisiez Montherlant, Les Jeunes Filles.
Brigitte Fontaine : J’ai reçu une baffe en pleine gueule. En Bretagne, il n’y a pas d’inégalité des sexes. J’ai reçu ce truc, Les Jeunes Filles, en pleine poire, qui est une horreur de haine et de mépris contre les femmes. Je n’en revenais pas. Mais en même temps, je captais et je lui en veux à mort. Ne pas oublier que lorsque les nazis sont entrés en France, il a dit : « Divine surprise. » Comme un mec qui se fait enculer et soudain s’exclame : « Oh, divine surprise ! ».
Merci Simone, merci tout le monde.
Votre vigilance vis-à-vis de la domination masculine et de l’oppression du patriarcat, qui sera un sujet qui reviendra à travers vos livres et vos chansons, vient-elle de là ?
Brigitte Fontaine : J’ai découvert l’inégalité des sexes en arrivant à Paris – parce que je considère que la Bretagne n’est pas en France, c’est un autre pays, une contrée. Je crois que j’ai oeuvré comme je pouvais pour l’honneur des femmes. Depuis le début, jusqu’à maintenant.
Vous avez l’impression que les choses se sont améliorées pour les femmes en l’espace de cinquante, soixante ans ?
Brigitte Fontaine : Ça dépend des pays. Mais quand même, on a eu l’avortement et la contraception. Merci Simone, merci tout le monde.
Mais sur le comportement des hommes en général ou les évolutions de la société dans la manière dont sont considérées les femmes ?
Brigitte Fontaine : Ce sont peut-être de meilleurs amants . Lorsque j’étais très jeune, les Français étaient nuls. À part peut-être les Français juifs. Ils étaient de meilleurs amants, mais les Français ne connaissaient rien, ils étaient nuls. Certains étrangers étaient meilleurs.
Vous étiez aussi attentive à Nietzsche ou Garcia Lorca ?
Brigitte Fontaine : Federico García Lorca, c’est un sacré mec. J’ai lu un truc, je ne me rappelle plus le nom, mais c’est d’une beauté à crever. Sur le truc, je ne trouve pas d’autre mot que « le truc », qu’il y a quand on fait quelque chose de beau et qu’on est dedans jusqu’au cou (Le mot que Brigitte cherche est le « duende »). Quand j’avais 16 ans, j’étais plus intellectuelle que maintenant. Maintenant, je suis instinctive, comme une bête.
Il y a une magnifique phrase de vous dans cette enquête de Benoît Mouchard : « Je ne connais pas les chagrins d’amour. »
Brigitte Fontaine : Oui, je n’en ai jamais eu. Il paraît que tout le monde en a et que c’est terrible. Mais moi, je ne connais pas ça. Mais j’ai eu beaucoup de chagrin et de souffrance d’autre part, bien sûr. Ne soyez pas jaloux, vous autres, les auditeurs de Nova. (J’ai redécouvert Nova et maintenant, je n’écoute plus que ça. Il y a quelque chose qui a changé entre le début, qui était formidable et le milieu, pas terrible, avec beaucoup de pubs et de musiques pas terribles. Maintenant, c’est devenu très très bien.)
Vous avez d’ailleurs une histoire assez belle avec Radio Nova. Vous avez écrit en 1982 une fiction radiophonique qui s’appelle Les Jeux olympiques de l’orgasme. Ça racontait quoi ?
Brigitte Fontaine : Oui, avec mon amie Leïla Derradji. Il faut dire que c’est assez hilarant, et parfois émouvant. Quand on se laissait aller, comme des filles de pute, c’était rigolo comme tout. Une espèce de puzzle ou de kaléidoscope. Il y avait des textes de moi, de nous deux ou des trucs de la grande Marguerite Duras. Nous avons été aidé par un ingénieur du son formidable, qui s’appelle Jean-Pierre Fondart. Les Jeux olympiques de l’orgasme ont ainsi commencé.
Comme vous l’avez chanté, « L’amour, c’est pour les gogos » ?
Il y a beaucoup de propagande au sujet de l’amour, même de l’amour divin, il faut l’avouer. Mais ça, je ne peux pas trop en parler car je ne suis pas digne.
Pourtant, vous êtes l’héroïne d’une histoire d’amour qui dure depuis presque cinquante ans, avec Areski Belkacem.
Brigitte Fontaine : Nous avons quelque chose de très important en commun : la musique. Je suis tombée amoureuse de sa musique. La première fois que je lui avais donné une musique à faire à partir d’un texte, L’été l’été, je suis tombée évanouie. Nous avons travaillé trois ans ensemble, il n’y avait que de l’amitié. Et tout à coup, le coup de foudre est monté rapidement. C’était un éclatement de lumière et de chaleur épouvantable.
Comment est-ce qu’on fait pour que l’amour dure ?
Brigitte Fontaine : Je sais pas du tout, moi. Les horreurs, les crises, les malversations et les coups de grisou, il y en a eu et il y en a toujours. C’est un peu passionnel, mais il ne faut pas les oublier. Je suis partie je ne sais combien de fois, mais il m’a toujours rattrapé de façon improbable, finalement assez merveilleuse.
Je suis mal, mal, très mal, et je fais des exploits.
Je me rappelle aussi dans notre conversation de l’an passé, qu’il y avait un disque que vous avez fait et qui ne pouvait pas sortir, et ça vous énervait beaucoup.
Brigitte Fontaine : Le monologue de Lady Macbeth avec Sonic Youth. Magnifique ! Je ne sais pas pourquoi ça ne sort pas. Avant-hier, il y avait Thurston Moore, le guitariste, dans la salle, j’étais très contente.
Qui a eu l’idée de faire ce monologue ?
Moi ! J’aime Shakespeare. En anglais, naturellement. Ça donne une pièce très longue. Il y a les quatre de Sonic Youth derrière. On a enregistré ça à l’époque de Kékéland (en 2001).
Et ce film qui s’est tourné il y a quelques jours à Morlaix, dans la ville de votre enfance, avec Gustave Kervern et Benoît Delépine, c’était chouette ?
Brigitte Fontaine : J’étais très malade, j’ai failli ne pas pouvoir le faire, et puis… j’ai fait des exploits énormes. Je fais des exploits, sans arrêt. Je suis mal, mal, très mal, et je fais des exploits. J’ai réussi à tourner jusqu’au bout mais ils ont été de refaire un peu le scénario.
Quel est le sujet du film ?
Brigitte Fontaine : Ça s’appelle Mords-les. Ça mord de partout. Il y a des insultes, des beaux trucs merveilleux de la ville de Morlay, un théâtre sous terrain et des statues polychromes. Et puis, des tombes avec des vaches. J’ai fait un show pour des vaches. Elles étaient toutes autour de moi.
Vous jouez un personnage ou vous êtes Brigitte Fontaine ?
Brigitte Fontaine : Je m’appelle Diogénie. Je sors d’un tombeau médiéval au bout de 20 000 ans d’insomnie. Après, je marche dans les tombes en insultant tout le monde. Il y a beaucoup d’insultes. Personne ne me voit, les gens sont morts et moi je suis vivante. Mais il y a un mec qui me voit, c’est Gustave Kervern. On part en fusée vers Vénus. Le film n’a ni queue ni tête mais il a autre chose.
Merci et au revoir, Brigitte Fontaine.
Brigitte Fontaine : Dormez bien, quelle que soit l’heure. Dormez un petit quart d’heure, vous verrez, ça vous fera du bien.
Retrouvez Brigitte Fontaine le 17 et 24 juin au Café de la Danse de Paris et le 16 octobre à Radiant Bellevue à Caluire.
Visuels © Fanchon Bilbille, photos inédites d’un concert donné par la Reine de Kékéland, en compagnie du guitariste Yan Péchin, sur la scène de l’Alhambra, à Genève, en février 2019.