À Tunis, les mélos familiaux préfèrent revisiter Cassavetes et Kechiche que Zola.
Comment ça va le cinéma tunisien ? Amel et les fauves répond à la question avec une belle ambiguïté. Ça va très bien si on se place d’un point de vue technique, le film de Mehdi Hlimi arborant une remarquable forme de polar social. Ça va moins bien si on se penche sur ce qu’il raconte du pays. Une vision trouble, mais avant tout double, quand s’entrecroisent les parcours d’une mère et d’un fils. Elle, ouvrière, lui qui rêve d’être footballeur. Entre les deux, un état des lieux mordant quand cette mère se retrouve en prison suite à une fausse accusation d’adultère, son fils se perdant dans le monde de la nuit, la dope et la prostitution.
Amel et les fauves aurait donc tout du mélo familial à faire pleurer dans les chaumières façon Zola de la casbah, mais Hlimi est avant tout animé par une rogne tenace. Celle qui l’autorise à avoir un regard franc, cru sur un Tunis aux airs de fabrique, de l’humiliation sociale à tous les niveaux, pratiquée par les dealers comme par les patrons d’entreprises. Le bilan désillusionné d’une révolution du jasmin qui n’a jamais bourgeonné sent le compromis et la fatalité. Un peu comme si la vie était un match de foot truqué. Notamment pour Amel, prête à balancer une collègue de son usine en échange d’un coup de piston pour son fils, mais qui se retrouvera sur le banc de touche en finissant derrière les barreaux. Hlimi se fait arbitre qui connaît particulièrement les règles pipées, son film, grandement inspiré de sa propre adolescence, fait des jongles avec l’autofiction.
Derrière cette histoire de cordon ombilical déchiré par la corruption, il y a pourtant une quête de père. Pas celui du film, qui apparaît comme intermittence, mais surtout comme une peine perdue, mais ceux de cinéma, Hlimi invoquant, dans son portrait de femme comme dans celui de la jeunesse, les influences de John Cassavetes ou Abdellatif Kechiche. Au vu du résultat, à la fois sensible et percutant, on peut déjà lui décerner le statut d’un bel enfant de cinéma.